Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auraient été cependant faciles entre la vallée de l’oued Rdom et celle de l’oued Sebou, que la colonne atteignait après une marche assez courte. À la plaine immense, couverte de champs d’orge et de blé, de prairies où pendant plusieurs heures les flancs-gardes avaient marché dans les fleurs, où les villages étaient petits, misérables et nombreux, avait succédé une région tourmentée, où la route s’allongeait entre des chaînes de hauteurs parallèles, séparées par de profonds ravins. L’espoir d’arriver sans encombre à Fez illuminait déjà les physionomies de quelques ennemis des sensations fortes et des émotions vives ; mais il fut vite déçu par la nouvelle qui circulait déjà dans le camp. Un caïd des Ouezzan avait dit au colonel : « La poudre a trop parlé hier, du côté de Dar-ben-Ali ; elle parlera sans cesse jusqu’à Fez. » Sur la foi de ce renseignement répandu par les hâbleurs de la colonne, les amateurs de gestes violens et d’actes sanguinaires se hâtèrent d’échafauder des rêves reluisans de médailles, de croix et de galons.

Le caïd ne s’était pas trompé. Les Cherardas qui, trois jours auparavant, avaient laissé passer tranquillement les troupes du général Moinier, s’étaient ravisés. Excités par la perspective d’une fructueuse razzia et par la faiblesse relative de la colonne Gouraud, deux fois moins nombreuse que la colonne de secours, ils voulurent venger la défaite des Béni Hassen en affirmant leur propre supériorité. Malheureusement pour eux, l’itinéraire des troupes françaises évitait le col de Zegotta dont ils sont les portiers intéressés, et leur intervention trop tardive ne leur permettait plus d’utiliser complètement la topographie de la région.

Les guerriers des tribus sont paresseux. Ils ne savent pas que le monde appartient aux hommes qui se lèvent tôt. Tandis que nos troupes se mettaient en marche dès l’aurore et parfois en pleine nuit, leurs ennemis n’étaient prêts à la lutte que vers huit ou neuf heures du matin. Cette particularité devait faciliter pendant toute la campagne le départ quotidien des colonnes, opération toujours délicate quand un gros convoi de chameaux les alourdit, et leur donner la tranquillité nécessaire pour franchir sans dommage les passages dangereux. Ainsi, le 24 mai, pendant plusieurs kilomètres, la route suivie par la colonne Gouraud longeait l’oued Sebou ; tracée en corniche sur les derniers contreforts du Djebel Tselfat, elle pouvait être aisément défendue par des adversaires audacieux. Mais, surtout, quelques