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grandes batailles sont, le plus souvent, des fantasias presque inoffensives, bruyantes et colorées. Il fallait remonter jusqu’aux débuts de l’occupation de Casablanca, jusqu’aux affaires de la colonne des Todlas pour compter une « casse » aussi importante. Le chloroforme manquait ; les blessés hurlaient sous les sondes et les bistouris, dans le brancard régimentaire qui servait de table d’opérations. Le poste, établi dans une plaine sans arbres, ne possédait même pas le bois nécessaire pour la confection de cercueils improvisés. Et c’est enroulés dans leurs couvre-pieds maculés de taches sombres par le sang desséché, sans prières mais non sans discours, que les premiers tués de la colonne Gouraud furent confiés à la terre grisâtre de Sidi-Gueddar. Des croix et des couronnes de fleurs sauvages hâtivement tressées étaient l’hommage modeste et attendri de leurs compagnons d’armes dont plusieurs, grisés par la sobre majesté de cette cérémonie sans musique et sans larmes, suivis du cortège immense où tous les grades se coudoyaient dans une fraternelle émotion, souhaitaient peut-être pour eux-mêmes une mort suivie d’une telle apothéose.

L’engagement du 22 mai était une leçon sévère pour les tribus de la région. Il leur montrait, à leurs dépens, les dangers d’une lutte rapprochée où leur manque de cohésion, leur infériorité en tactique les exposaient aux ripostes sanglantes et aux échecs retentissans. Nous verrons, dans la suite, leurs guerriers profiter de l’expérience, en s’exagérant la valeur de ses enseignemens. Ils se révéleront alors partisans convaincus de « l’ordre mince ; » ils étendront démesurément leurs fronts de combat, prenant bien soin de ne plus présenter à nos canons et à nos fusils que des objectifs sans consistance, dont l’éloignement et la mobilité déconcertent. Mais, en se rendant moins vulnérables, ils perdront les avantages de l’offensive résolue que leur nombre autoriserait. Présens partout sur le terrain choisi par eux dans les rencontres qu’ils ont préparées, ils ne seront forts nulle part. Sans réserves, sans chef unique et obéi, sans volonté ferme d’aborder et de vaincre, grâce à leur tactique nouvelle, ils ne feront plus éprouver à nos troupes que des pertes légères, en inquiétant leur marche sans pouvoir la retarder, ni protéger leurs villages, leurs douars et le nouveau Sultan qu’ils ont reconnu.

Aucun incident ne marqua l’étape du 23 mai. Les surprises