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train à la course, comme le chameau de Tartarin. Le souvenir des marsouins du colonel de Pélacot qui, en 1900, s’étaient cachés à fond de cale pour accompagner, en marge de l’effectif réglementaire, leurs camarades expédiés à Tien-Tsin, pouvait avoir inspiré cette fugue ; mais l’explication était plus simple. Ce soldat, nommé Augier, comptait dans une des unités que le 23e régiment colonial avait dirigées sur le Maroc quelques jours auparavant ; pour un motif quelconque, on l’avait laissé à Paris. Il avait espéré profiter du départ de la dernière compagnie ; repoussé, il était allé conter sa mésaventure au colonel, l’avait attendri, et en avait obtenu l’autorisation de prendre le rapide pour Marseille où il pouvait ainsi arriver à temps. Ses vœux étaient exaucés. À Salé, quand tout le bataillon parisien fut enfin réuni, Augier ne voulut pas quitter sa compagnie d’adoption. Un simple jeu d’écritures et l’assentiment des deux capitaines lui donnèrent la joie de rester avec ses nouveaux camarades. Et, le 22 mai, il tombait un des premiers, frappé de trois balles, à la mâchoire, au bras et à l’épaule, dont heureusement il ne mourut pas. Ainsi, cet homme qui pouvait vivre tranquille à Paris, qui pouvait même faire toute la campagne sans encombre s’il avait suivi sa destination normale, avait intéressé à son sort un colonel, un major de régiment, deux capitaines, fait fléchir la rigueur des règlemens, supprimé les lenteurs de l’administration, pour tomber à la première affaire et mériter en quelques jours la récompense dont rêvent tous les vieux soldats.

Le passage étant ainsi dégagé, la colonne Gouraud continua sa route jusqu’au poste de Sidi-Gueddar. L’étape était courte, mais les troupes avaient besoin de repos, et la durée d’écoulement du convoi qui devait traverser l’oued Rdom par un gué très encaissé ne permettait pas d’aller plus loin. D’ailleurs, il fallait éviter aux morts les profanations de sépulture en donnant à leurs tombes une protection efficace, et soigner les blessés dans l’ambulance du poste, sommairement installée sous des tentes inconfortables.

Cinq morts et vingt blessés arrivant ensemble, il n’en fallait pas autant pour jeter la confusion et le trouble dans une formation sanitaire mal outillée, dont le personnel administratif fut vite débordé par cette affluence inusitée. Le chiffre des pertes passait en effet pour être énorme, dans un pays où les