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des habitans et se mettre à l’abri de représailles caractérisées par le pillage de leurs maisons, le quartier juif, le Mellah de Rabat, exultait. Jamais les petits commerçans n’avaient été à pareille fête. Ils trouvaient enfin l’occasion, pour eux et leurs enfans, d’utiliser les phrases françaises apprises dans les écoles que la prévoyante Alliance israélite universelle organisait depuis 1882. Visiblement, ils semblaient croire que nous allions exiger aussitôt du Sultan leur émancipation comme en Algérie, et que notre intervention était voulue par Jehovah pour assurer le triomphe d’Israël. Leur familiarité, leur complaisance étaient sans bornes. Leurs jeunes gens arboraient déjà le costume européen, symbole de leur affranchissement. Et l’on pouvait prévoir la soudaine fragilité des barrières élevées par les gouvernans arabes, — qu’on ne saurait pourtant incriminer d’obscurantisme romain, — contre une race qu’ils redoutaient. Bientôt disparus, les Mellahs analogues à nos ghettos moyenâgeux ; oubliées, l’interdiction du turban, la souquenille et le bonnet noirs, la peinture bleue des maisons ; abolies, les défenses de porter des armes apparentes et de franchir certaines portes à cheval ! En attendant, ils servaient de guides empressés et dociles, de fournisseurs diligens ; ils venaient, sur les fronts de bandière, dresser leurs tentes marabouts où se ruait la clientèle militaire, attirée par la faiblesse relative de prix contre lesquels les mercantis ou commerçans européens, qui supportaient depuis Casablanca des frais généraux considérables, pouvaient difficilement lutter.

Un grand journal parisien, voulant démontrer la prudence et la bonne foi de notre diplomatie dans le problème délicat de l’occupation des villes marocaines, annonçait triomphalement : « Nos troupes ne s’installeront ni à Rabat, ni à Salé ; elles occuperont Bou-Regreg. » Comme tant d’autres de ses confrères, il avait, une fois encore, pris le Pirée pour un homme, un fleuve pour une localité. Mais, vraiment, la présence d’une force militaire sur les sables de la rive était alors indispensable, malgré les mauvaises conditions hygiéniques de leur installation. Les convois qui traversaient le fleuve à Rabat restaient parqués sur la plage de Salé avant de repartir pour et Kounitra, où s’organisait une colonne de ravitaillement vers Fez, sous le commandement probable du colonel Gouraud. Et les troupes, dont le rôle était d’assurer la sécurité du passage,