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c’est un incessant défilé de personnages affairés et nerveux qui viennent prendre des ordres, réclamer des explications, soumettre des doléances. À l’un, il manque des mulets de transport ; les canons de l’autre sont débarqués sans chevaux ; un troisième reçoit des voitures sans les harnais d’attelage ; c’est le capitaine d’une compagnie restée en arrière qui demande en vain où se trouve son bataillon ; c’est un commandant de colonne, récemment désigné, qui voudrait connaître l’emplacement de ses troupes. Les exclamations se croisent, les plantons s’agitent, les mouches bourdonnent dans l’air surchauffé des bureaux. Le général en chef est parti pour activer la marche de la colonne légère qui piétine autour d’El Kounitra. D’après ses instructions que les incidens quotidiens rendent d’une application difficile, il faut organiser sans délai une base nouvelle à Meheydia, renforcer la colonne volante, préparer une colonne de ravitaillement, qui doit suivre de près les troupes expédiées vers Fez. Les événemens qui se précipitent renversent tous les projets soigneusement mûris depuis trois ans : « Nous avions tout prévu, tout préparé pour l’occupation de Merrakech, les expéditions contre les Zaèrs et les Zemmours ; mais il était impossible de supposer que nous aurions à mobiliser en un mois une colonne vers Fez. — Hélas ! mon cher camarade, on prévoit bien, en général, n cas de mobilisation ; mais c’est toujours le n + 1e qui se présente. »

Cette trépidation fébrile se retrouve dans les quartiers commerçans. Les fournitures militaires, les projets de travaux publics, les spéculations de terrains surexcitent les cerveaux, font défiler dans les imaginations des cosmopolites, dont les bureaux, boutiques, ateliers se multiplient dans les rués étroites, sombres et fraîches, la vision de trésors rapidement amassés. Ouvriers d’art, transitaires, agens de navigation, commissionnaires, entrepreneurs, coiffeurs et pédicures, ex-premières des grands couturiers de Paris, Levantins, Maltais, Espagnols, Italiens, Français même, débarquent chaque jour, attirés par le mouvement d’affaires que représentent un corps expéditionnaire de 20 000 hommes et les projets de réorganisation du Maroc. Et les magasins obscurs, d’aspect sordide, hâtivement établis dans les maisons arabes, regorgent de marchandises variées, depuis la camelote à l’usage des indigènes jusqu’aux fournitures de luxe pour les demi-mondaines cotées de la ville et les grandes réceptions des personnages officiels.