Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la capitale, encore éblouis par une vision récente, fredonnent le motif entraînant : « Je veux m’en fourrer, m’en fourrer jusque-là » de la Vie Parisienne, dont ils ont applaudi avant leur départ la triomphante reprise.

Autour des murailles hautes et trapues, soutenues par des tours carrées couronnées de créneaux pointus et percées de meurtrières, où la teinte noirâtre des siècles s’estompe dans le jaune de chrome du soleil, surveillés par les soldats du « tabor » qui gardent des portes en décor d’opéra, les indigènes, au marché quotidien, grouillent et piaillent. Les burnous sales, les turbans crasseux, le pelage élimé des chameaux, les toisons poussiéreuses des moutons, les guenilles des mendians étendus sur le bord de la chaussée, confondent leurs tons gris, zébrés d’ombres dures. Toutes les races du Maroc, les conquérans et les vaincus, Arabes douteux, paysans de la Chaouïa, guerriers des tribus de la forêt ou de la montagne, Sahariens razziés et vendus comme esclaves, femmes européennes disputant sur les prix, Berbères osseux juchés par deux à califourchon sur de petits ânes qui semblent avoir huit pieds, Juifs onduleux aux souquenilles noires, goumiers à l’aspect farouche, se mêlent autour des étalages, s’interpellent, tourbillonnent en remous provoqués par les « balek » aigus des chameliers. Des estafettes, spahis ou chasseurs d’Afrique, des officiers, passent à cheval, non sans glisser un regard vers le Café Glacier où des affiches multicolores annoncent pour le soir les débuts d’une chanteuse de genre arrivée la veille, et dont la silhouette fit sensation sur le quai.

Traversant la foule où ils mettent deux lignes claires, les courans montant et descendant des militaires ont les bureaux de l’État-major comme origine et terminus. Dans les cabanes en planches, éparses autour d’un maigre jardin que solennisent le kiosque à musique planté au milieu de la « Volière » et le mât de pavillon, une fièvre continue secoue les collaborateurs du chef dont la France et l’Europe entière attendent des actes énergiques et prudens. Une erreur dans le chargement d’un bateau, la menace d’une interpellation à la Chambre, l’attitude nouvelle d’une tribu, le dernier avis du service des renseignemens, bouleversent les combinaisons les mieux préparées, rendent inutile un travail minutieux déjà terminé, font du plan d’opérations une toile de Pénélope qui ne s’achève jamais. Et