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courbettes hiérarchiques, en baisemains prétentieux, en propos badins où chacun a le « sourire du grade. » Les képis, les aiguillettes scintillent ; le major de la garnison et ses aides tourbillonnent, jetant d’un ton bref et affairé des indications vagues. Il faut les indigènes enturbannés et pouilleux que la curiosité attire, les coolies qui font la chaîne en déchargeant les barcasses, les remparts et les minarets qui font le décor du fond, pour donner à Casablanca l’aspect légèrement exotique d’un Mourmelon africain.

Peu à peu, compagnies de « marsouins, » batteries de « bigors » se forment sur le terre-plein, entre la vieille muraille et la mer. Bagages d’officiers, vivres de réserve et de débarquement, sont chargés sur les arrabas que vont conduire des Marocains crasseux, stylés en gestes énergiques par un sergent barbu de tirailleurs algériens, préposé aux moyens de transport que la Place affecte aux unités débarquées. Les regards curieux, indifférens ou hostiles suivent quelque temps ces « coloniaux, » coupables, semble-t-il, d’être venus chasser en terre réservée ; des réflexions narquoises commentent les faces maigres, les uniformes sombres et sans élégance, l’allure sans apprêt de ces troupes qui arrivent précédées par une légende malveillante d’indiscipline, d’ivresse et de débilité. Les jambes encore molles de la traversée, l’estomac chaviré par le jeûne du matin, suant sous la lourde tenue d’hiver endossée pour débarquer et sous le sac chargé d’effets bientôt inutilisables, les coloniaux s’enfoncent dans le sable, s’estompent dans la poussière soulevée par le vent du large, et prennent la direction du camp d’Aïn-Bourdja.

Le paysage et les installations y sont d’une biblique simplicité. Un bosquet de quelques figuiers, où pullulent des mercantis des deux sexes, avides et vermineux ; un ruisselet pour abreuver 500 chevaux ; une pompe pour donner l’eau à 3 000 hommes, et dont le fonctionnement régulier sera fugitif comme une illusion de jeunesse ; un sol rougeâtre et nu balayé par le vent. Les soldats dressent aussitôt leurs petites tentes au milieu des cailloux, grignotent avec entrain leurs « vivres de débarquement, » sans attendre les distributions réglementaires dont une longue expérience leur démontre l’improbabilité. Ils jacassent à perdre haleine sur la politique marocaine où ils lisent comme dans un livre ouvert ; sur les chances d’aventures