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mené grand bruit ; le chancelier de l’Empire avait dû répondre à une interpellation au Reichstag, et, avant de rendre justice à la correction de notre attitude, il avait dit qu’il attendait nos explications. Lorsqu’elles sont venues, il a bien voulu les juger satisfaisantes : le Du Chayla était dans ces parages pour surveiller la contrebande de guerre, comme nous avions reçu à Algésiras la mission de le faire. L’émotion allemande s’est calmée, non sans nous laisser quelque surprise qu’elle eût été si vive à propos d’un fait si insignifiant. Alors, d’autres souvenirs, plus lointains, nous sont revenus à la mémoire : ils nous ont montré l’Allemagne en quête d’un port sur l’Atlantique et le parti pangermaniste jetant son dévolu précisément sur Agadir. L’acte allemand semblait donc se rattacher à des projets anciens dont il semblait être un commencement d’exécution : le gouvernement impérial avait seulement attendu le moment propice, il croyait l’avoir trouvé. Cette première explication de sa conduite s’est présentée tout de suite aux esprits. Est-ce la bonne ? Peut-être. Cependant il y en a une seconde : après la secousse du premier moment, on s’est demandé si l’envoi d’un navire à Agadir n’était pas, de la part du gouvernement impérial, une sorte de mise en demeure dont l’objet était de nous amener à négocier. Nous amener à négocier ? Mais nous ne demandions pas mieux, nous ne demandions même pas autre chose et le voyage de M. Jules Cambon à Kissingen en avait fourni la preuve. Alors pourquoi la démonstration d’Agadir ? En diplomatie, il ne faut rien faire d’inutile : la parfaite inutilité de l’acte allemand nous fait douter de l’exactitude de cette deuxième hypothèse. Mais, dit-on encore, la diplomatie allemande use volontiers de procédés brutaux et M. de Kiderlen en particulier est partisan de cette manière forte qui va à son caractère : qui sait si l’envoi d’un navire à Agadir n’est pas le premier acte d’une négociation dont l’Allemagne elle-même désire le succès ? C’est possible ; il n’y a rien là de contraire à ce que l’expérience nous a appris des procédés germaniques. Nous avons vu plus d’une fois l’Allemague, lorsqu’elle se propose de causer ou de négocier, se placer avec toute sa masse à l’endroit le plus incommode, le plus encombrant, le plus menaçant pour son partenaire, dans l’espoir de le rendre par là d’humeur plus facile et plus conciliante : et cela lui a réussi quelquefois. Que ne feriez-vous pas pour éloigner un homme corpulent qui, assis à côté de vous, appuie lourdement sa botte sur votre orteil ? Voilà donc trois hypothèses pour expliquer la manifestation d’Agadir. L’Allemagne veut-elle un morceau du Maroc et a-t-elle choisi Agadir comme point d’appui à son ambition ? Veut-elle seulement négocier et obtenir