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motif de s’en plaindre. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : nous nous montrons tout disposés à causer, à négocier, à transiger et, pour bien manifester nos intentions, notre ambassadeur, avant de se rendre de Berlin à Paris, passe par Kissingen pour se rendre mieux compte de celles de M. de Kiderlen. On saura un jour sans doute ce qui s’est dit à Kissingen : nous serions bien surpris s’il n’en résultait pas que, rompant avec le mutisme dont on s’est montré si mécontent, si offensé autrefois, nous nous sommes déclarés prêts à des explications franches et loyales. Quelques jours plus tard, le gouvernement impérial envoyait la Panther à Agadir, et nous dirions volontiers que c’était la réponse de M. de Kiderlen aux conversations de Kissingen, s’il n’était pas plus vraisemblable que le coup était préparé depuis quelque temps déjà. On admirera, en passant, avec quelle brusque opportunité il a été porté. Nous venions d’avoir une crise ministérielle ; un ministre des Affaires étrangères en avait remplacé un autre ; M. de Selves avait à peine pris possession de son bureau au quai d’Orsay ; il était à la veille de partir pour La Haye où il allait accompagner M. le Président de la République dans sa visite à la reine des Pays-Bas. Qu’on rapproche toutes ces circonstances et qu’on se demande si la protection des intérêts allemands à Agadir, à supposer qu’ils fussent vraiment menacés, exigeait de la part du gouvernement impérial une exécution aussi précipitée. On n’a même pas attendu que le croiseur le Berlin ait eu le temps d’arriver à Agadir, on y a envoyé à la hâte la canonnière la Panther qui était plus près, sauf à remplacer ensuite celle-ci par celui-là, tant l’urgence était grande de protéger les intérêts allemands, ou tant le désir était vif de profiter de ce qu’on a appelé autrefois le moment psychologique. Nous n’insisterons pas.

Mais pourquoi le gouvernement allemand a-t-il envoyé un navire à Agadir ? Le prétexte qu’il a donné, à savoir qu’il devait veiller aux intérêts des Allemands dans le Sud du Maroc, représenté comme une région particulièrement troublée, a rencontré partout le crédit qu’il méritait. On est allé tout de suite au fond des choses, et personne n’a douté, soit chez nous, soit dans le reste de l’Univers, que le « geste » germanique exprimait à l’égard de la France une intention dont il était encore difficile de déterminer le véritable caractère, mais qui était à coup sûr désobligeante. Des souvenirs récens revenaient à la mémoire. À l’automne dernier, un navire français, le Du Chayla, étant allé à Agadir, le commandant avait débarqué et avait fait une visite au pacha. Autour de ce fait très simple, la presse allemande avait