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ajouterons la nôtre. M. Jules Cambon a été l’heureux négociateur, en 1909, d’un arrangement avec le gouvernement impérial, qui semblait être, de la part de ce dernier, un renoncement définitif à toute opposition à l’action française au Maroc. L’Allemagne reconnaissait une fois de plus l’intérêt spécial que nous avions au maintien de l’ordre dans l’empire chérifien et déclarait qu’elle ne ferait rien pour contrarier notre œuvre, n’ayant d’ailleurs elle-même que des intérêts économiques à développer : ces intérêts étaient suffisamment garantis par le principe de l’égalité introduit dans l’Acte d’Algésiras. Il y avait là une base solide pour nos rapports ultérieurs avec l’Allemagne au Maroc, et, en effet, pendant quelque temps, ces rapports ont été ce qu’ils devaient être, corrects et en apparence confians. Mais M. Jules Cambon a l’oreille trop fine et trop exercée pour n’avoir pas entendu les bruits qui s’élevaient en Allemagne et pour ne pas en avoir compris le caractère : l’Allemagne, estimant que la situation du Maroc s’était modifiée à notre profit, en éprouvait une certaine impatience et s’apprêtait à donner à ce sentiment une forme précise. Elle aurait pu sans doute, elle aurait même dû, après l’arrangement de 1909, prévoir que nous ne resterions pas inertes et s’accommoder d’une situation nouvelle qui avait reçu son consentement explicite ; mais entre le respect d’un arrangement, même lorsqu’il n’est vieux que de deux ans, et la satisfaction d’un intérêt ou d’un appétit immédiat, l’Allemagne n’hésite pas, elle sacrifie le premier. M. de Bismarck, dans ses Pensées et Souvenirs, n’a-t-il pas érigé en principe la fragilité des traités en présence de la force des intérêts, et n’a-t-il pas dit que jamais un gouvernement ne subordonnerait ceux-ci à ceux-là ? Il était de toute évidence que l’Allemagne se proposait un but, et il est de toute probabilité que M. Cambon est allé à Kissingen pour essayer de le reconnaître. Sa démarche ne s’expliquerait pas si elle n’avait pas eu pour objet d’ouvrir une conversation qui devait avoir des suites ; elle témoignait d’une bonne volonté concluante, et nous étions en droit d’espérer qu’il nous en serait tenu compte.

Nous disons d’espérer : avec l’Allemagne on n’est jamais sûr de rien ; il semble même que ce soit un des procédés habituels, réfléchis et voulus, de sa politique, de maintenir son interlocuteur dans l’incertitude, dans l’inquiétude même, au sujet de ses dispositions réelles. Tout lui sert de prétexte et elle use, suivant les cas, des plus opposés. Il y a quelques années, l’Allemagne reprochait avec amertume à un de nos ministres de n’avoir pas voulu causer avec elle, et nous nous demandions nous-même si elle n’avait pas en effet quelque