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nous disons nous-mêmes et de le prendre pour une vérité acceptée par tout le monde quand nous l’avons répété un certain nombre de fois : il est bien regrettable que ce phénomène d’auto-suggestion n’agisse d’ailleurs que sur nous. C’est ainsi que nous nous sommes persuadé, à force de le dire, que nous avions reçu un mandat spécial en vue de maintenir ou de rétablir l’ordre au Maroc : malheureusement les papiers diplomatiques ne portent aucune trace de ce prétendu mandat. Nous rendons à M. Cruppi la justice que, répondant à la Chambre à un orateur qui l’avait allégué pour justifier notre marche sur Fez, il a déclaré nettement que nous étions allés à Fez pour un tout autre motif et que notre expédition avait eu pour but unique de préserver la vie de nos nationaux et de nos instructeurs militaires. C’était placer le fait sur son vrai terrain. Pour en revenir aux journaux allemands, et surtout à ceux qui sont les interprètes habituels de la pensée gouvernementale, on ne saurait leur reprocher d’avoir manqué de franchise, car ils ont beaucoup parlé et avec un remarquable ensemble. Leur thèse, que nous sommes loin d’accepter sans d’explicites réserves, mais qu’il est bon de connaître, a été la suivante. — La France, ont-ils dit, est sur la route de Fez ; elle y va, elle y arrivera et, une fois qu’elle y sera arrivée, elle ne pourra plus en sortir ; alors, en fait sinon en droit, l’Acte d’Algésiras aura cessé d’exister, car on ne pourra plus parler de ses deux principes essentiels, qui sont l’intégrité du territoire du Maroc et l’indépendance du Sultan, comme de réalités encore vivantes et opérantes. L’intégrité territoriale, comment pourrait-on l’invoquer lorsque les Français ont pris la rive droite de la Moulouïa, toute la Châouïa et qu’ils sont à Fez ? L’indépendance du Sultan, comment pourrait-on la prendre au sérieux lorsque Moulaï-Hafid est entre les mains des Français qui disposent de son trône et de sa vie ? En tout cela, les Français ne méritent d’ailleurs aucun reproche ; leur conduite a été dominée par des circonstances dont ils n’ont pas été les maîtres ; d’autres, à leur place, auraient probablement fait ce qu’ils ont fait ; mais les conséquences sont là et on peut les résumer d’un mot en disant qu’il n’y a plus d’Acte d’Algésiras. Dès lors, chacun reprend sa liberté et est maître d’en user au mieux de ses intérêts. — Telle est la thèse que la presse allemande a développée sous des formes diverses pendant que nous nous préparions à aller à Fez, que nous y allions, que nous y arrivions. Bien loin de nous retenir, elle nous a presque encouragés. Elle se complaisait à nous voir et même à nous faire déchirer l’Acte d’Algésiras de nos propres