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régulariser la situation, c’est-à-dire épouser sa vieille roulure de maîtresse, et lui amener ses enfans, et s’installer bourgeoisement dans cette honte. Ce qu’il y a de plus atroce, et ce qu’on ne saurait pardonner à l’auteur, c’est d’avoir transporté dans un tel milieu et transposé sous cette forme dérisoire, un des plus beaux sentimens et des plus naturels : l’amour filial. A-t-il voulu mettre un habit nouveau à cette vieille sentence, que les brigands eux-mêmes ont leur honneur, et les apaches leur code de la délicatesse ?

Du moins a-t-il eu soin de nous prévenir et ne nous laisse-t-il aucun doute sur le pays où il nous fait voyager. Je ne sais si le mot est dans la pièce, mais il n’y en a qu’un qui serve pour désigner la catégorie sociale à laquelle appartient le jeune Maurice Orland. Avec lui nous sommes franchement dans la société des filles et des souteneurs. Mais tout de suite nous faisons une constatation bien significative. Les mœurs que l’on décrit ici ne nous surprennent guère : nous les avons déjà rencontrées. Ce sont les mêmes qui nous étaient dépeintes dans les pièces à cadre mondain ou bourgeois. On qualifiait les personnages de gentilshommes, de financiers, d’industriels, d’artistes, de gens de lettres ou de gens du monde : en réalité, ils étaient autant d’apaches en habit noir. C’est parmi les apaches que l’instinct est l’unique loi, que la violence des coups est toujours près de succéder à la violence des mots, et qu’on cogne sur les femmes. C’est chez eux que les auteurs du théâtre brutal ont élu domicile pour y étudier le cœur humain.

« Nous sommes de notre temps, diront ces messieurs. On ne peut rien contre ces grands mouvemens qui tiennent à toute sorte de causes : on est entraîné, malgré soi, par ces larges courans, aux causes lointaines, diverses et obscures qui, à certaines périodes, emportent dans un même sens toute la littérature. » Erreur ! Lorsque J.-J. Weiss, en 1857, publiait son fameux article sur la Littérature brutale, il visait à la fois une pièce de théâtre, les Faux Bonshommes, un livre de vers, les Fleurs du mal, un roman, Madame Bovary. On ne pourrait faire de même aujourd’hui et englober dans un seul procès les principaux genres littéraires. La poésie, hélas ! ne fait guère parler d’elle, et nous n’avons plus l’occasion de dire, comme cet ancien, que l’année ait été fertile en poètes. Quant au roman, quels qu’en soient d’ailleurs les mérites ou les défauts, il est du moins à l’abri de certain reproche. Les dernières œuvres des maîtres consacrés par une renommée déjà longue témoignent non seulement d’un réel éclectisme, mais de préoccupations morales grandissantes.