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ainsi, il y eut, du premier jour de la puissance temporelle jusqu’au dernier, une contradiction, une disproportion singulière entre sa substance matérielle, si l’on peut dire, et la grandeur extraordinaire, attribuée, parmi tous les souverains, à celui qui en était investi. Ce sont là des faits certains, que l’histoire montre, d’un siècle à l’autre, toujours pareils. Il n’est pas permis de les oublier, le jour où l’on veut fixer la condition du Saint-Siège dans le droit international.

Pourquoi donc cette condition exceptionnelle faite au souverain des États pontificaux ? Pourquoi la contradiction d’une puissance matérielle si faible et d’une autorité incomparable ? La contradiction n’est qu’apparente. Dans leurs rapports internationaux, les États se guident non par des motifs de sentiment, mais par des considérations pratiques. Ils ont, de tout temps, traité le chef des États pontificaux comme s’il représentait une des premières puissances de l’univers : c’est donc que cette puissance existait. Comment elle existait en effet, de quoi elle était faite, quelle était sa nature, ici encore, il suffit, pour s’en rendre compte, de rappeler des vérités prises dans l’histoire : le souverain pontife représentait et détenait une puissance politique, une puissance morale uniques dans le monde, qui, l’une et l’autre, étaient attachées à sa qualité de chef suprême de l’Église catholique.

La première a marqué tout le moyen âge de son empreinte. Le caractère propre de l’Église catholique, qui est d’être une hiérarchie universelle, élevait le Pape à une hauteur prodigieuse au-dessus d’une Europe morcelée par le régime féodal. Disposant seul d’une autorité partout obéie, maître de faire sentir partout et d’imposer souvent une action conforme à sa volonté, le Saint-Siège entendait régner dans une théocratie absolue ; et la victoire fameuse de Canossa fut l’éclatant triomphe d’un pouvoir qui n’empruntait rien à la force ni de l’argent, ni des armes. Dans des temps plus modernes, cette puissance politique, en devenant moins dominatrice, n’avait pas perdu son efficacité. Au regard des États catholiques, elle se manifestait de manières multiples, suivant les intérêts divers qu’elle devait régler avec eux, et les différences de régime cultuel ne réagissaient pas sensiblement sur elle. Elle s’étendait, au profit d’un pays, au delà des limites de ce pays ; et par exemple, elle reconnaissait à la France le protectorat catholique