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l’œuvre exécutée, eh bien, je la mettrai dans le carton et je ferai autre chose ; car il ne s’agit pas de faire une imprudence qui pourrait compromettre le fragile édifice de mon succès. Enfin je causerai de tout cela avec vous quand nous en aurons le temps, c’est-à-dire bientôt, quand je serai revenu.

Au revoir. Voici un gros baiser pour ta fête. J’embrasse aussi Annette de tout mon cœur.

Mes amitiés à Sindico.

Ton fils, FRANCIS.


III

François Coppée, l’hiver suivant, dut s’exiler de nouveau, repartir pour le Midi. Il abandonnait à Édouard Thierry, administrateur de la Comédie-Française, le soin de diriger les répétitions de son drame en un acte en vers, Deux douleurs.

De Pau, il continue à écrire régulièrement à sa mère et à sa sœur, ses « chères bonnes femmes, » comme il dit avec la familière bonne humeur qui le caractérise ; il s’y montre, comme toujours, le bon jeune homme à l’excellent cœur, reconnaissant envers ceux qui lui ont fait du bien, doux, affable, obligeant envers ses amis, bon camarade, bon fils, — inquiet avant tout de la santé de sa mère, malgré les préoccupations littéraires et l’attente fébrile de la première des Deux douleurs, qu’il désire avec impatience, mais sans se faire d’illusions ; car il prévoit l’insuccès, et il le dit très simplement, avec beaucoup de sagesse et de modestie.


Bordeaux, samedi.

Cette lettre est la dernière que je date de Bordeaux, ma bonne maman, ma chère Annette, car je pars irrévocablement, comme disent les magasins de nouveautés, lundi matin à huit heures pour Pau. Je suis enchanté de mon séjour ici, car c’est quinze jours de gagnés sur l’ennui de l’éloignement. Je ne vais plus du reste à Pau en inconnu à présent. L’oncle de Baudit, qui a habité cette ville quinze ans, doit me donner aujourd’hui même deux lettres de recommandation. Il paraît qu’elle est charmante à habiter, et comme site, et comme société ; mais je n’ai pas l’intention d’y faire de nombreuses connaissances. Mon voyage m’a permis de constater un fait : c’est que je suis réellement connu en province. On sait le nom plus qu’on n’a lu les