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est certain, c’est que Talleyrand avait dû informer le ministre de Portugal à Paris, des instructions données à Lannes et M. de Souza était trop bon diplomate pour ne pas comprendre que, du moment qu’on prescrivait à Lannes de reprendre les relations, c’est qu’on le désapprouvait.

Ces instructions étaient assez formelles pour qu’aujourd’hui un agent diplomatique, placé dans une situation analogue, s’exécutât docilement. Mais la subordination à un civil n’était guère alors dans les habitudes des héros militaires de la Révolution. C’est en homme de guerre et non en diplomate que Lannes envisage la situation. Son imagination le transporte sur un champ de bataille et, de même que devant un ennemi supérieur en force, il ne se décidera jamais à évacuer une position importante, de même il se refuse à céder « un pouce de terrain : » il est tellement convaincu « de la nécessité d’aller en avant » que « s’il faut battre en retraite, » il n’hésite pas à demander au Premier Consul de lui éviter le refus qu’il serait obligé de faire et d’ordonner son remplacement. Les métaphores de son style sentent la poudre.

Toujours en homme de guerre, chez lui, l’action suit la parole. Sans attendre de réponse, et, à peine quelques jours après le 14 thermidor, il adresse non plus cette fois au gouvernement portugais, mais au Régent lui-même, une note qui a l’allure d’une sommation. D’abord, les griefs d’ordre général : contrairement à l’article du traité de Madrid qui stipule pour l’entrée des marchandises françaises en Portugal le traitement de la nation la plus favorisée ; on a voulu prohiber l’importation de nos cuirs ; on prohibe celle de nos vins. On menace de couler bas un navire français en l’obligeant à entrer dans le Tage, malgré vents et marée. On arrête et on décharge un autre bâtiment porteur des effets du commissaire général des Relations commerciales,

… Puis les griefs personnels : on a insulté ce commissaire général, arrêté à plusieurs reprises les gens qui travaillent pour la maison du ministre de France ; les agens de la douane refusent de lui délivrer les vins destinés à son usage « le lendemain du jour où ils en ont délivré à un général anglais (ce que, au reste, ils devaient faire sur sa simple demande)… Je demande à Votre Altesse Royale, conclut Lannes, justice pleine et entière sur tous les points de ma note. Si je ne puis l’obtenir, j’ai l’honneur