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chef d’État contre lui, donner à une question de personne tant d’importance, tout cela ne semble pas exempt d’une exagération qu’un diplomate de carrière aurait évitée, d’autant qu’à ce moment des satisfactions d’un ordre vraiment politique commençaient à nous être données : les émigrés s’embarquaient en effet, le premier convoi venait de partir le 25 prairial pour l’Angleterre avec M. de Vioménil, un de leurs chefs ; et, d’autre part, les premiers versemens de la contribution de guerre allaient être opérés à Paris.

Sur ces deux points, le Portugal était donc en droit de dire qu’il remplissait ses engagemens ; et s’estimait en mesure de protester à Paris, par l’organe de son ministre, don José Maria de Souza[1], qui ne craignait pas d’accuser Lannes de chercher des prétextes pour quitter Lisbonne. À en croire le représentant portugais, l’aversion de Lannes pour Manique aurait eu d’autres causes que les raisons invoquées par le général dans sa correspondance. Dans la biographie qu’il a publiée de son grand-père, le duc de Montebello raconte à propos du prêt de quatre cent mille francs consenti par Augereau à Lannes que celui-ci parvint à s’acquitter envers son généreux ami grâce à un privilège dont jouissaient les ministres étrangers à Lisbonne ; ce privilège consistait dans la faculté de faire entrer en franchise, lors de leur arrivée en Portugal, toutes les marchandises contenues dans le vaisseau qui les portait eux-mêmes. » Lannes céda ce privilège pour 350 000 francs à des négocians français, et se trouva ainsi en mesure de rembourser Augereau.

Dans la correspondance officielle du général, soit avec Bonaparte, soit avec les ministres portugais, aucune trace de cet incident que Souza présente à Talleyrand sous la forme suivante : Lannes aurait insisté à plusieurs reprises « pour que les effets apportés par le vaisseau le Neptune fussent portés chez lui sans passer par la douane, » et, sur le refus du directeur général de cette administration, qui n’était autre que Pina Manique, il aurait fait débarquer ces effets de vive force par cinq Français à la tête desquels se trouvait Fitte, son secrétaire de légation. Un tel procédé, s’il a été réellement employé, aurait été évidemment assez peu correct ; mais il y a bien loin de là aux accusations de contrebande qui ont été portées contre Lannes par certains historiens anglais et que rien ne justifie.

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