Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire d’un homme qui, depuis plus de dix ans, est leur persécuteur et leur bourreau, et qui, dans ce moment même, ose encore se faire honteusement un mérite de sa haine contre la nation française ? »

Lannes conclut en déclarant qu’il renonce à toute correspondance s’il n’obtient pas :

1o Le remplacement de l’Intendant de police.

2o La destitution de l’officier qui était de garde au poste de l’Estrella lorsque le capitaine Subervie s’y est rendu.

3o La prompte mise en jugement des individus qui l’ont poursuivi et frappé et qui ont fait feu sur lui, — leur punition éclatante et exemplaire.

C’est toujours chose dangereuse pour un diplomate de menacer le gouvernement auprès duquel il est accrédité de rompre les relations avec lui ; si ce gouvernement ne cède pas, on se trouve placé dans l’alternative ou de ne pas exécuter sa menace, ou de s’interdire, en l’exécutant, tout autre mode de négociation. En tout cas, c’est un moyen extrême ; après en avoir usé, il n’en reste plus d’autre. Lannes dut en faire la pénible expérience lorsqu’il reçut la réponse, du reste pleine de mauvaise foi, du ministre des Affaires étrangères. D’Almeida se bornait à expliquer que Subervie avait été pris pour un malfaiteur par une patrouille chargée de rechercher les auteurs d’un vol important ; que les coups de pistolet qu’il avait crus dirigés contre lui n’étaient que le signal habituel des agens de police pour s’avertir entre eux ; qu’il avait été traité avec égards par M. de Novion, dès qu’il s’était fait connaître, et que les soldats dont il avait eu à se plaindre avaient été arrêtés ; — pas un mot de tous les griefs articulés contre Manique, mais, par contre, en guise de conclusion, un long panégyrique de ce fonctionnaire « qu’il a plu à différentes personnes (entendons par là la colonie française) de présenter au ministre de France sous un aspect aussi injuste que calomnieux. »

Lannes se trouve trop avancé pour recevoir une pareille réponse, tout en hésitant, d’autre part, à exécuter ses menaces de rupture. Il sent bien lui-même qu’il risque fort de ne pas réussir, car le voilà qui réclame, « un mot du Premier Consul » pour que ce colosse à moitié ruiné « s’écroule, » tant il est persuadé que de cette chute dépend le prestige de la France.

Qualifier Manique de colosse, réclamer l’intervention d’un