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me le représenter descendant sur des lèvres bleuâtres qui, en s’ouvrant, laissaient voir la plus singulière denture que Dieu ait créée… Et puis, couronnant tout cela, une sorte de crinière formée avec des cheveux secs, crépus, de ces cheveux qui n’ont pas de couleur. »

Tel était le couple royal auprès duquel Lannes fut introduit avec tout l’appareil accoutumé. Il remit au Régent ses lettres de créance, en lui faisant part des « vœux que le Premier Consul faisait pour la prospérité de sa personne et de ses États. » Le Prince lui répondit en français « qu’il avait appris avec grand plaisir son arrivée à Lisbonne et qu’il était fort reconnaissant au Premier Consul d’avoir choisi pour résider auprès de lui un général aussi recommandable par les services rendus à sa patrie. » Lannes, suivant l’usage, présenta alors les personnes de sa suite au Prince qui leur fit « un accueil très affectueux. «  Même affabilité de la part de la Princesse et de toute la Cour. Lannes ne pouvait qu’en être charmé : la pompe et la dignité de la réception, choses toutes nouvelles pour lui, n’avaient pas fait sur son esprit moins d’impression que les bonnes dispositions manifestées par la Cour de Lisbonne.

Almeida s’empresse en effet de lui annoncer que le ministre de Portugal à Londres a reçu l’ordre d’exiger du gouvernement britannique le prompt rappel et l’embarquement des troupes auxiliaires devenues inutiles depuis la conclusion de la paix entre les deux nations. Il communique à Lannes toute sa correspondance avec la maison Hope pour le paiement des 20 millions, de laquelle il résulte que le versement en sera opéré incessamment à Paris. Le Régent reconnaît la République Italique qui vient d’être réorganisée à la place de l’ancienne république Cisalpine, et il a prié Lannes de marquer au Premier Consul « combien il lui était agréable d’avoir par là une occasion de lui montrer la juste considération qu’il avait pour ses vertus et ses grandes qualités, et sa déférence pour tout ce qui pouvait lui être agréable. »

Excellentes paroles, certes, mais les actes tardent bien à suivre ; et Lannes, dont la droiture ne comprend pas plus qu’on tarde à exécuter une promesse que son ardeur de soldat conquérant ne s’accommode des délais et des obstacles, harcèle de notes le gouvernement portugais et en même temps se répand déjà en plaintes auprès de Talleyrand à propos des