Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Angleterre ; Mortemart, Castres, Dillon, Loyant-Emigrant, et le corps d’artillerie de Rotalier commandé par M. de Roquelet. Le gouvernement britannique les avait en effet successivement détachés en Portugal depuis 1798 pour secourir cette puissance pendant sa dernière guerre contre l’Espagne. Il les y laissait pendant le cours des négociations de paix avec la France pour s’assurer peut-être un moyen d’action sur la Cour de Lisbonne en cas de reprise des hostilités. Beaucoup de simples soldats dans ces régimens étaient d’ailleurs soit des déserteurs, soit des prisonniers de guerre français.

Lannes, comme presque tous les Français et surtout les officiers de son époque, éprouvait envers l’Angleterre une haine aussi violente que sincère ; d’autre part, ses sentimens pour tout ce qui rappelait l’Ancien Régime n’étaient pas moins hostiles : la vue de ces émigrés à la solde du gouvernement britannique, la présence du duc de Coigny, agent déclaré de Louis XVIII et du marquis de Vioménil, l’un chargé de réorganiser l’armée portugaise, ayant commandé la maison du Roi à l’armée de Condé, l’autre ayant servi également avec un haut grade et ayant été à la tête d’un corps de 7 000 hommes rassemblés à Guernesey pour envahir la France, le remplissent de colère et d’indignation. Ce n’est que « deux jours avant son arrivée qu’on leur a fait quitter la cocarde blanche… Ils tiennent le gouvernement dans la plus stricte dépendance… Le marquis de Novion[1], émigré français, est à la tête de la police de la ville, et la sûreté de la factorerie (colonie) française est entre ses mains… Tolérer l’existence de ces corps, c’est pour ainsi dire mettre les agens de la République entre leurs mains, et les émigrés ne sauraient résider en armes dans les mêmes lieux où réside le plénipotentiaire français… »

À cette première cause d’irritation ne va pas tarder à s’en joindre une autre. Dès le lendemain de son arrivée, c’est-à-dire le 5 prairial, Lannes a demandé audience au ministre des Affaires étrangères, don Joaö de Almeida Mello e Castro, qui le reçoit le 6 à sept heures du soir. Les voici pour la première fois en présence, ces deux hommes que nous allons voir bientôt engager une lutte aussi longue qu’acharnée. M. d’Almeida,

  1. Lannes devait reconnaître plus tard, avec sa loyauté habituelle, que le marquis de Novion rendait les plus grands services à la sécurité publique par sa fermeté et son intégrité.