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ordinaires du pays ; » entendons par cette périphrase qu’on lui a retenu des logemens particuliers exempts de la malpropreté dont se plaignaient et se plaignent encore aujourd’hui les voyageurs obligés de fréquenter les auberges de la péninsule. En plus des égards officiels, voici même les douceurs de la popularité : le peuple joint « le témoignage de sa joie aux bons procédés des autorités en criant : Vive la France et son ambassadeur ! » et tout contribue adonner, au nouveau représentant de la République, les meilleures espérances.

Enfin, comme couronnement à ce brillant voyage, quand Lannes arrive en vue de Lisbonne, le 4 germinal (2 mai) au soir, sur la rive gauche du Tage, il trouve pour le transporter de l’autre côté les « escalères du Prince, » grandes chaloupes de parade richement dorées, montées chacune par vingt-cinq rameurs de la Cour habillés de blanc, avec un bonnet de velours noir sur la tête, ayant par devant les armes du Portugal en argent. Au débarcadère, attendent les voitures de la Cour pour le conduire jusque chez lui.

Ce « chez lui » c’est tout simplement l’auberge, puisque la France n’a plus, depuis dix ans, de représentant, ni par suite de maison dans la capitale portugaise. Et quelle auberge ! le « Grand hôtel anglais, installé dans l’ancien palais du comte Barao d’Alorto. » Celui qui passera les trois années de sa mission diplomatique uniquement à combattre en Portugal l’influence de l’Angleterre, débuter ainsi par chercher abri dans un logis britannique ! L’antithèse est d’une amusante ironie !

Pendant qu’il traversait le fleuve sur une des « escalères » du Prince, Lannes avait pu contempler à son aise le merveilleux spectacle, si souvent décrit, que présente aux yeux la situation incomparable de la capitale portugaise, cette « plaine d’eau immense formée par le Tage, — pour emprunter les expressions d’un contemporain, — qui a souvent plus de deux milles d’Allemagne de large, et qui est toute couverte de vaisseaux, cette ville majestueuse qui s’étend en amphithéâtre sur les collines qui bordent le fleuve, le grand nombre de ses dômes, ses environs parsemés de maisons de campagne, de couvens, de jardins et d’oliviers, » tout cela formant « un ensemble extraordinaire et un aspect magnifique. »

À cette époque, l’intérieur de la ville ne répondait guère à l’admirable tableau qu’elle présentait de loin. Rues irrégulières,