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rang et avec une éclatante valeur, en Espagne, en Italie, en Egypte. Depuis avril 1810, il commandait en chef la Garde des consuls, admirable corps d’élite de plus de 6 000 hommes. « C’était alors, dit la duchesse d’Abrantès, un jeune général de trente-deux ans, d’une taille svelte et élégante ; son pied, sa jambe et ses mains étaient d’une beauté remarquable ; sa figure n’avait rien de beau, mais sa physionomie était très expressive ; quand il s’animait, ses yeux devenaient énormes et lançaient des éclairs. Il avait une réputation de bravoure qui éclipsait toutes les autres, mais peu de succès auprès des femmes. »

Ses portraits nous représentent Lannes avec les cheveux bouclés, le front haut, le nez plutôt long des hommes d’action et d’aventure : les yeux un peu ronds et saillans décèlent l’impétuosité, presque la violence ; la bouche bien dessinée marque au contraire la finesse et l’intelligence. Ces contrastes physiques, ce sont les contrastes mêmes du caractère de notre héros.

Cette esquisse ne serait pas complète si, à côté de tant de traits brillans, n’y apparaissaient quelques ombres. Gascon de naissance, Lannes ne pouvait être exempt d’une certaine jactance, dont son style porte la trace. D’un naturel extrêmement emporté, qu’il devait maîtriser plus tard par un effort suprême de volonté ; d’une franchise un peu trop confiante, et d’une susceptibilité parfois exagérée, son caractère ne paraissait pas le désigner particulièrement pour un poste diplomatique ; sans que toutefois sa qualité de militaire pût y faire obstacle. Car la Révolution belliqueuse et conquérante avait eu et avait encore recours à des soldats pour les missions que la désorganisation de l’ancien personnel diplomatique ne permettait plus de confier à des agens de carrière.

D’autre part, malgré les sentimens d’amitié particulière qu’il témoignait à Lannes, Bonaparte tenait, en ce moment, par suite de circonstances particulières, à lui procurer un poste bien rémunéré, en l’éloignant en même temps de France pour quelques années. Il ressentait tout d’abord un certain mécontentement de l’opposition que Lannes, comme beaucoup d’autres de ses camarades, avait faite à la politique religieuse du Concordat. Puis le général, quoique sans fortune personnelle, s’était cru obligé, en sa qualité de commandant de la Garde consulaire, de monter sa maison d’une manière somptueuse, et d’y tenir table ouverte.