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Flaubert c’est Balzac avec le goût de l’Orient (où l’influence de Gautier peut être supposée encore), et avec un effort pour s’abstraire lui-même et pour se soumettre complètement à l’objet ; et vous pouvez tenir ceci pour une manie qui vous prive de vraies beautés ; mais vous ne pourriez pas ne point le tenir pour une nouveauté, pour une originalité qui fait du roman de Flaubert une œuvre à part dans tout le XIXe siècle.

Et plus Leconte de Lisle et Flaubert étaient tous deux et on le sait assez, et personnels et passionnés de leur nature ; plus, et l’on a ici comme la mesure de cette influence, plus on doit estimer qu’ont été grands sur eux l’empire des idées de Gautier et l’ascendant de son exemple.

Et si l’on m’objecte que tous ceux qui, selon moi, ont été ce qu’ils furent à cause de Gautier auraient bien pu l’être par leur seule volonté propre, je n’aurai rien à répondre, si ce n’est qu’il reste un peu plus probable que l’antécédent a été une cause au moins partielle, d’autant que l’antécédent a été très grand, très considérable, placé très haut dans l’estime générale des lettrés, et évidemment préoccupant au point d’être un peu fascinateur.

Ou plutôt, la vraie cause, en ces sortes d’affaires, c’est la réaction elle-même ; c’est ceci qu’une génération a toujours besoin de goûter des plaisirs qui n’ont pas été ceux de la génération précédente ; mais la réaction, sans quoi elle ne se produit pas ou se produit gauchement, a toujours besoin d’un initiateur qui ait existé dans la génération précédente et sur qui elle s’appuie, d’où elle part pour son élan, chez qui elle prend une partie de ses forces et de qui elle s’autorise. Et c’est le cas de Malherbe pour l’école de 1660 et c’est le cas de Jean-Jacques Rousseau pour le romantisme de 1820 et c’est le cas de Gautier pour le Parnasse. Et si je dis que, manque d’un initiateur, une réaction qui voulait se produire ne se produit pas ou se produit maladroitement et languit comme si une force lui manquait, c’est ce qu’un exemple, que l’ordre chronologique amènera un peu plus loin, tendra peut-être à prouver.

Gautier ne me paraît avoir laissé en dehors de lui dans cette littérature de 1850-1880 que Sully Prudhomme, François Coppée et peut-être Baudelaire. Sully Prudhomme, avec, seulement, une sobriété dont il n’y a pas lieu d’être sûr que ce soit Gautier qui lui ait donné l’exemple, continue la tradition des élégiaques-philosophes de 1830 et se range dans la famille, en s’y faisant