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On sait assez que les hommes qui aiment les idées avaient pour lui comme une espèce d’horreur, que Scherer dans un mouvement « d’indignation pédantesque » comme dit Brunetière, lui reproche « d’être étranger à tout emploi viril de la plume. » C’est simplement le mot d’un homme qui aurait répété, comme Pascal : « Quelle vanité que la peinture ! » Mais toujours est-il que Gautier, par sa vocation de ne point penser ou, du moins, de n’avoir d’idées que sur son art, se distingue profondément de tout ce romantisme dont, par une de ces illusions d’optique qui sont si fréquentes dans l’histoire des littératures, on le crut pendant un long temps le représentant le plus hardi.

Les romantiques furent encore des hommes de forum, des hommes môles à la bataille sociale, des hommes parlant au peuple et qui voulaient que le peuple les entendît et leur répondît. « Il n’y en a pas un, disait-on de leur temps, qui ne veuille être député ou pair de France. » Du temps du romantisme, je ne sais que les professeurs qui aient, plus que les poètes lyriques, désiré être ministres. Cette soif a gâté de fort honnêtes gens. Elle n’a pas gâté Théophile Gautier. Il ne s’est jamais occupé, ni soucié, ni inquiété de politique pour une obole. Il ne croyait pas à la « fonction du poète » en tant que législateur, et, pour lui, la fonction du poète était d’écrire des poèmes. Il aurait répété le mot de Malherbe sur l’utilité des poètes dans l’État, qui est qu’ils y sont précisément aussi utiles que les joueurs de boules ; — non, a rectifié quelqu’un, que les joueurs de bulles. Voilà encore une très grande différence entre Gautier et la plupart des romantiques ; ici c’est d’Alfred de Musset, et en cela seul, qu’il se rapproche.

Et enfin, quoique l’on ait, à mon avis, donné beaucoup trop d’importance à ce point de vue, à mon avis très secondaire, il faut bien convenir que c’est un des caractères du romantisme que d’être, non point littérature personnelle, car toute littérature est personnelle, excepté celle de ceux qui ne sont pas littérateurs, mais d’être littérature confidentielle. Le romantisme est la littérature qui continue les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ; le romantisme est la littérature où l’on parle de soi en disant : « Je » au lieu de parler de soi en disant : « Il » et la différence n’est pas bien grande ; mais encore je conviens qu’elle est sensible.

Tant y a que Gautier n’a été ni personnel dans le sens qu’on