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qu’il sent que Zurbaran l’aurait traité qu’il traite à son tour.

Par parenthèse, aux mains d’un homme qui est passé maître en sa langue et en ressources de style, cette méthode, car c’est une méthode instinctive, mais c’est une méthode, donne des résultats étonnans ; parce qu’un art, en se servant d’un autre art pour ainsi parler comme intermédiaire, se contrôle par cet art, et acquiert une sûreté et donne une impression de sûreté extraordinaire.

Mais enfin le grand fait à retenir, c’est que Gautier est un peintre. Il l’est tellement qu’il est bien peu musicien et il est si peu musicien que je ne crois pas qu’un seul critique se soit même avisé de se demander s’il l’était. On ne songe pas à la rythmique de Gautier et c’est un singulier poète qu’un poète à la rythmique de qui l’on ne pense pas.

— Tant elle est parfaite, me dira-t-on.

— Ce serait peut-être une plaisanterie agréable. La vérité est que, dans les premières poésies de Gautier, le rythme est tellement brisé qu’il n’existe plus et que l’auteur semble ou avoir voulu qu’il n’existât plus ou n’avoir jamais eu la moindre idée de la musique que l’on peut mettre dans des vers ; et que, dans ses derniers poèmes, il n’a plus, ne veut plus avoir guère qu’un seul rythme, la stance de quatre vers octosyllabes. Avec pleine raison du reste, car cette stance est la stance quadro par excellence ; c’est la stance des peintres. Elle enserre et encadre exactement un fragment de nature net, précis et simplifié. La stance de quatre alexandrins, celle de Leconte de Lisle, est le cadre des peintres qui voient large et onduleux ; la stance de quatre octosyllabes est le cadre des peintres qui voient très net, très ramassé et dont la peinture tient quelque chose du bas-relief. Les Émaux et Camées ne pouvaient être écrits qu’en stances de quatre vers octosyllabes. Seulement, est-ce de la musique ? À mon avis, point du tout. Peintre, toujours peintre. Peintre, du reste, admirable.

Ainsi donc, déjà, Gautier était très isolé dans le romantisme ; car les romantiques ont toutes sortes de qualités magnifiques et parmi lesquelles il faut sans doute compter celle qui consiste à savoir peindre ; mais ils sont beaucoup moins peintres que musiciens ; c’est le rythme qui est leur faculté maîtresse, qu’ils s’appellent Lamartine, Victor Hugo, Musset, Michelet et même Vigny. Même quand ils peignent, ils peignent