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Peu à peu, le chœur où nous sommes se remplit. De ce qui se passe dans le reste de l’Abbaye nous ne voyons absolument rien, et les six mille et quelques spectateurs qui la rempliront tout à l’heure ne verront rien non plus qu’avec les yeux de la foi, car une immense grille ferme l’entrée du chœur. Je vois entrer successivement les pairs et les pairesses dont la tribune est située en face de moi, la tribune des pairs étant au contraire sur la même ligne, de sorte que je ne puis les voir. Chaque pair porte un grand manteau, chaque pairesse une robe avec une grande traîne, le tout en velours rouge, avec une pèlerine en hermine. Leurs couronnes, qu’ils et qu’elles ne doivent mettre que quand le Roi et la Reine auront mis les leurs, sont portées par de tout jeunes pages en costume de fantaisie. C’est un défilé charmant et je ne puis m’empêcher de penser que si quelque futur Bill venait à supprimer tout cela, ce serait, au point de vue purement artistique, bien dommage. Je me rassure en me disant que les cinq cents nouveaux pairs que le Cabinet libéral menace de créer pour vaincre la résistance des Lords seront encore plus désireux que les anciens de conserver le manteau rouge et la couronne.

J’ai la bonne fortune, pendant que les arrivées se succèdent, d’être assis à côté d’une dame italienne dont le mari a rempli longtemps un poste important à Londres. Elle connaît tout le monde, et, avec une complaisance inlassable, elle me signale et me nomme au passage les principales figures, entre autres quelques duchesses anglaises qui, du reste, sont Américaines. Elle me fait apercevoir lord Lansdowne avec lequel je me suis rencontré autrefois à l’Université d’Oxford quand nous avions tous les deux vingt ans. « Si elle me trouve comme je la trouve, disait avec mauvaise humeur Chateaubriand, après avoir rencontré une de ses contemporaines, je dois être dans un bel état de conservation. » Si nous nous rencontrons, Lansdowne et moi, comme il est possible, au Garden party de Buckingham Palace où j’ai également l’honneur d’être invité, nous penserons probablement la même chose l’un de l’autre ; peut-être même nous le dirons-nous, mais avec bonne humeur.

Mon aimable voisine me signale également quelques personnages notables, entre autres, assis sur un des bancs en face de nous, les deux leaders unionistes de la Chambre des Communes qui ont été courtoisement invités, Austen Chamberlain, avec sa