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dit depuis que le général Goiran aurait pu ne pas répondre à une question complexe, qui avait un côté militaire, mais aussi un côté politique, constitutionnel même, et qui intéresse le gouvernement tout entier. Soit, mais ce n’est pas la faute de M. de Tréveneuc si M. le président du Conseil était dans son lit : il avait incontestablement le droit de poser la question, et le gouvernement avait le devoir d’y répondre. M. le ministre de la Guerre y a donc répondu, et rien n’a égalé la surprise qu’a éprouvée le Sénat en l’écoutant. L’opinion du général Goiran est que le commandement doit être partagé, à la guerre, entre plusieurs généraux. Il n’y a d’ailleurs pas, a-t-il fait remarquer, de généralissime, mais seulement un vice-président du Conseil supérieur de la Guerre. Cela est vrai matériellement, et le ministre aurait même pu ajouter que les pouvoirs de ce vice-président sont assez mal définis: c’est même pour cela que M. de Tréveneuc s’en est préoccupé. Quoi qu’il en soit, le Sénat n’a entendu et retenu qu’une chose, à savoir que, dans la pensée du général Goiran, le commandement suprême devait être divisé. Et qui donc assurera l’unité de direction indispensable ? Le général Goiran a répondu que ce serait le gouvernement ; il a même dit: le Conseil des ministres, toutes choses qui ont été retouchées et atténuées au Journal officiel. Depuis trois semaines qu’il était ministre, le général Goiran avait été, paraît-il, tellement émerveillé de la compétence de ses collègues en toutes choses qu’il n’hésitait pas à leur confier la direction supérieure des opérations militaires : singulier moment pour exprimer ce sentiment que celui où nous Jouissions du ministère Monis ! M. de Tréveneuc s’était appuyé sur l’histoire qu’il connaît fort bien ; le général Goiran a fait de même, mais il a cité un exemple unique, celui de Napoléon qui a laissé la France, a-t-il dit, plus petite qu’il ne l’avait reçue, parce qu’il avait concentré dans sa personne un commandement qui dépasse les forces d’un homme, quel que puisse être son génie. L’exemple a paru mal choisi. Napoléon n’est pas tombé parce que son génie militaire était insuffisant, mais parce que l’amplitude démesurée de son ambition politique, qui a toujours été en augmentant, a fini par coaliser toute l’Europe contre lui. M. de Tréveneuc avait-il proposé de réunir dans les mains d’un seul homme tous les pouvoirs politiques et tous les pouvoirs militaires du pays ? Non assurément. En temps de guerre comme en temps de paix, et plus peut-être, le gouvernement a un grand rôle à jouer ; mais le commandement militaire n’en doit pas moins être, dans son domaine, libre et un. Le général Goiran a parlé de l’Allemagne ; il a