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Prenons pour ce qu’elles valent ces affirmations téméraires destinées à donner artificiellement du corps à des fictions inconsistantes. La vérité est que le gouvernement, qui est devenu depuis quelques années de plus en plus difficile, semble à peu près impossible avec la Chambre actuelle. Or un pays ne saurait se passer de gouvernement. S’il n’en a pas, ou s’il n’en a que l’apparence, le malaise devient général. C’est pourquoi on entendait dire et répéter dans les milieux politiques, et non pas dans un parti mais dans tous, que les choses ne pouvaient pas durer ainsi. On avait l’impression que tout s’en allait et se disloquait, que l’anarchie administrative faisait des progrès rapides, que le désordre augmentait et s’étendait en bas, à mesure que l’autorité se raréfiait en haut. La fugitive apparition et la prompte disparition du Cabinet défunt ont rendu cet état de choses encore plus sensible, et c’est pourquoi il est permis de sourire lorsqu’on entend M. Monis parler de sa politique et de la nécessité de la continuer. Est-ce que, vraiment, il en avait une ? On s’en est bien peu aperçu. Ce dont tout le monde avait, au contraire, la sensation de plus en plus vive et nette est que, si cette prétendue politique se prolongeait quelque temps encore, les pires conséquences en découleraient. Il n’était que temps d’aviser. L’incident Goiran aurait été assez facilement réparable dans une situation normale : il a été mortel dans celle-ci.

Avant d’en venir à cet incident, rappelons quelques faits antérieurs, pour montrer à quel point ce que M. Monis appelait sa politique ressemblait peu, en effet, à ce qu’on entend habituellement par ce mot. Le trouble fomenté par les délimitations dans plusieurs régions de la France, et plus particulièrement en Champagne, est toujours présent aux esprits. Question grave, complexe, presque inextricable ! L’embarras où elle a mis le ministère a été si grand que, ne sachant comment en sortir, il s’est déchargé sur le Conseil d’État de la responsabihté qui lui incombait. Est-ce là gouverner ? N’est-ce pas plutôt se dérober ? N’est-ce pas confesser son impuissance ? Ce qui devait arriver est arrivée : le décret du Conseil d’État n’a pas eu plus d’autorité qu’un morceau de papier et le lendemain du jour où il a été rendu, le ministère s’est retrouvé en face de la question tout entière. Les élémens n’en étaient pas changés. L’exaltation des esprits dans l’Aube n’a pas amené des scènes de sauvagerie révolutionnaire et destructrice comme celles de la Marne ; la présence des troupes a été à cet égard une sauvegarde ; mais le désordre moral y a atteint des limites extrêmes au point