Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grâce. L’effet est bien celui de Manon : semblable est le procédé, ou le style, et la poésie est pareille.

Enfin, dans le paysage d’automne et de crépuscule, sous la tombée lente des feuilles, cette musique est deux fois « couleur du temps : » couleur de l’arrière-saison, couleur aussi d’un passé qu’il semble qu’elle honore et qu’elle pleure. Il y a là, partout sensible, imprégnant, à la manière d’un parfum, l’atmosphère sonore, je ne sais quel adieu mélancolique à tout un ordre, à tout un idéal qui s’évanouit. Ainsi la musique dépasse les personnages ; elle devient le signe mystérieux d’un changement de l’histoire. En vérité, parmi les « Échos de France, » quelques pages du premier acte de Thérèse mériteraient d’être recueillies et gardées.

Le second acte est moins digne de mémoire. Et puisque l’un rappelle l’ancien régime, l’autre représentant la Révolution, nous ne nous plaindrons pas que celui-là soit le meilleur.

Le meilleur des trois interprètes de Thérèse est M. Clément. Il a chanté le rôle d’Armand avec beaucoup de goût et de mesure. Au contraire, il y a toujours de l’excès dans la manière ou dans les manières, vocales et dramatiques, de M. Albers. Enfin, quelqu’un disait à côté de nous, tout à côté, parlant de Mlle Lucy Arbell, que la musique a l’air de s’écouler à travers sa voix.


À l’Opéra, l’acte d’un opéra nouveau le plus difficile à passer est le premier. Il faut suivre avec attention la pantomime et l’action scénique pour trouver dans ce qui se voit une connaissance du drame que refuse à notre esprit la constante et complète inintelligibilité de ce qui se chante. « L’ennui, » comme disait l’autre, « c’est que la musique empêche d’entendre les paroles. » Il ne croyait pas si bien dire. Les chanteurs contemporains prononcent de plus en plus mal, sans pour cela chanter de mieux en mieux.

Premier acte de Siberia : le vestibule d’une riche et russe demeure. Scène entre deux domestiques, une gouvernante et un valet de chambre. Nous sommes chez un prince, lequel entretient en son palais une aimable personne, du nom de Stephana. Arrivent quelques in\ités, qui paraissent appartenir au monde militaire. Stephana se faisant attendre, on passe dans le salon de jeu. L’héroïne rentre bientôt, vêtue en ouvrière. Ainsi déguisée, elle s’était attardée chez un petit officier, Vassili, moins opulent que le prince, mais plus jeune, plus aimé, et mieux. Vassili arrive à son tour, étant, à ce qu’il m’a semblé, quelque chose comme le filleul ou le neveu de la niania.