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aussitôt, on la saisit, on l’entraîne. Les époux mourront ensemble : André pour Armand, Thérèse avec André, et pour lui sans doute, mais peut-être, en secret, aussi pour l’autre.

On ne doit jamais désespérer de M. Massenet : il a des retours imprévus et d’agréables surprises. Je n’en sais peut-être pas une plus heureuse que le premier tableau de Thérèse à peu près tout entier. « Même de la facilité, » comme dit Musset, et, comme dit Beaumarchais : « Pour le sentiment, c’est un jeune homme qui… » M. Massenet, qui n’est plus un jeune homme, a gardé l’un et l’autre de ces dons. Presque tout le premier acte de Thérèse, jusque dans le moindre détail, est écrit avec aisance et comme en se jouant. Il y a plaisir à voir, à entendre « traiter » ainsi, du bout des doigts, ou des lèvres, une chanson militaire, une chanson de marche. Dès les premières mesures du prélude, est-ce le Ça ira qui gronde ? Au rythme du moins, on le croirait, sans en être bien sûr, On dirait plutôt que le spirituel musicien s’amuse à nous faire peur. Il est permis de trouver de l’emphase, de la lourdeur, quelque chose de trop ronronnant, et ronflant, dans le rôle de l’époux baryton. La faute n’est pas seulement celle du rôle, mais de l’interprète. Il en ajoute, il en remet. Pour forcer ou pousser la note, il n’y a pas que les ténors ; on peut exagérer, même dans le grave. Mais une page au moins de ce rôle marital est bien jolie et digne d’un amant. Elle en rappelle une autre, de Musset, dans On ne badine pas avec l’amour. Comme Perdican et Rosette, sur le cristal d’une fontaine, Thorel et Thérèse sont penchés. « Nous vois-tu tous les deux dans la source, appuyés l’un sur l’autre ? Vois-tu tes beaux yeux dans les miens ? Regarde tout cela s’effacer. Regarde comme notre image a disparu ; la voilà qui revient peu à peu ; l’eau qui s’était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ; déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et il n’y aura plus une ride sur ton joli visage ; regarde ! » Ainsi parle — à peu près — l’honnête Girondin à sa vertueuse épouse. Et n’allez pas croire au moins que nous soyons dupe de l’analogie ou de la réminiscence littéraire et que dans cette musique nous entendions surtout un écho de cette poésie. Non : la musique en cette scène agit, opère seule, et par ses propres moyens. Ils sont ingénieux, délicats et, dans une certaine mesure, nouveaux. Original est l’orchestre : original d’abord comme sonorités ou comme timbres. Quels sont-ils ? Je ne sais plus au juste, et me rappelle seulement qu’ils me parurent délicieux. Très élégant, le dessin, et