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carrure, l’ingénieuse Concepcion le prie de vouloir bien monter là-haut certaine horloge, fort lourde, et que depuis longtemps en sa chambre elle veut placer. Affaire d’un moment, et très court ; cinq minutes après, il faut derechef expédier le gaillard, trop diligent et revenu trop tôt. Qu’à cela ne tienne : la señora, feignant une méprise, ou bien un caprice, enjoint au robuste et complaisant déménageur d’aller rechercher la première horloge et d’en hisser, à la place, une deuxième. Celle-ci pèse un peu plus, contenant le petit amoureux, qui vient de s’y blottir. L’amoureuse, pleine d’espoir, l’accompagne et, librement, le déballera là-haut.

Espoir trompeur : le freluquet n’était qu’un amoureux transi, bon tout au plus à chanter la romance à Madame, laquelle, ironique et dépitée, le fait redescendre aussitôt. Cependant un nouveau galant est survenu : Don Inigo Gomez, vieil et gros homme de finance. Pour surprendre la belle, il s’est également, avec plus de difficultés, introduit dans l’horloge no 1. Concepcion l’y découvre et, sans perdre un instant, car l’heure passe, elle le fait transporter et le suit à son tour, augurant mieux de ce second transport. Hélas ! de la gaine trop étroite, le bedonnant banquier essaie en vain de sortir. Autrement déçue, mais déçue toujours, nous voyons redescendre encore la deux fois malcontente horlogère. Alors, n’y tenant plus et mesurant des yeux le porteur infatigable, toujours prêt à la servir, elle remonte précipitamment avec lui, sans horloge.

L’heure est passée. L’horloger revient et trouve deux de ses horloges occupées. Commerçant avisé non moins que mari débonnaire, il n’impose aux deux occupans d’autre pénitence que l’achat de leurs deux asiles. Madame n’aura pas l’heure dans sa chambre ; mais tous les matins, en passant devant sa fenêtre, le muletier la lui dira.

« Pourtant, je ne suis pas ravelliste ! » s’écriait, le soir de la « première, » une auditrice que la musique de M. Ravel avait exaltée. Et ce cri nous parut signifier deux choses : premièrement qu’il existe en musique aujourd’hui, sous le nom de « ravellisme, » une doctrine, voire une religion, peut-être une hérésie ; de plus, que le musicien de l’Heure espagnole s’était surpassé lui-même, et si haut, ou de si haut, en cet ouvrage, que pour le coup il forçait l’admiration des indifférens, voire des rebelles.

Il est vrai, la partition de M. Ravel contient quelques passages qui ne sont pas insupportables, même à la lecture. Pages 12 et 13, page 20, pages 88 et 98, deux, trois et jusqu’à neuf mesures de suite, par le rythme ou la mélodie, offrent un sens, un semblant de forme, et