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vaincue, veut masquer la faiblesse prodigieuse de son éducation sociale. Si le progrès de l’Association est si lent, ce n’est pas qu’un obstacle se trouve sur la vraie route : un artifice permettrait, de le tourner, un effort court et violent suffirait à le détruire. C’est que, trop souvent, les ouvriers associés s’aventurent, d’un pas inégal, sur des routes incertaines, ignorant même que l’innombrable foule de leurs devanciers s’y est perdue avant eux ; se bousculant les uns les autres, changeant incessamment de guides ; errant sans boussole, et quelquefois sans but.

Écartons toutefois les suggestions d’un pessimisme exagéré. Oui, les Associations ouvrières de production n’ont point rempli les espérances que l’on avait fondées sur elles ; et si, dans les succès, on pouvait faire exactement la part de ce qui revient à la coopération pure, on la trouverait singulièrement réduite. Mais enfin, une cinquantaine ont résisté, qui ne sont pas toutes des modèles, mais sont, à certains égards, des exemples. Les innombrables tentatives avortées ne comptent pas devant le petit nombre des victoires définitives. Nous savons de mieux en mieux que les créations les plus admirables du génie humain ne sont, dans le moment éphémère où nous vivons, que le dernier état connu d’innombrables ébauches infructueuses, où d’obscurs chercheurs ont consumé leur vie. Telles qu’elles sont, ces Associations très vivantes représentent le plus grand effort pacifique que la classe ouvrière ait jusqu’ici déployé pour améliorer son sort. L’ampleur qu’elles ont atteinte, demeurée moyenne, donne la juste mesure de la puissance limitée dont est actuellement capable l’élite de quelques corporations. Mais il est permis d’espérer que cette limite reculera, à mesure que progressera, avec notre éducation démocratique, l’éducation sociale des travailleurs, qui en est inséparable.


JOSEPH CERNESSON.