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Associations avortées ; l’inexpérience des fondateurs, le désordre des finances, les misères de la direction, déciment chaque année, au sens exact du mot, la plupart de celles qui ont pu venir au jour ; la mollesse du travail, l’éparpillement de chaque puissance corporative en associations rivales, anémient un grand nombre des survivantes. Loin de confesser ces maux réels, les ouvriers découragés allèguent le manque de capital. Ils jettent un regard chargé d’impuissance et de haine sur les entreprises capitalistes, colossales dès leur naissance, et s’écrient qu’il n’est pas difficile de gagner la partie avec une entrée de jeu formidable. Mais le trésor des entreprises capitalistes a été amassé jadis par des hommes qui n’avaient pas un sou vaillant. Le jeu des transmissions héréditaires, l’ardeur laborieuse de quelques hommes, les manœuvres de la spéculation l’ont accru et fait passer entre des mains plus ou moins dignes. C’est la « Société capitaliste : » or, les socialistes ont la prétention de la détruire, et les coopérateurs de s’en passer. Si ces derniers savent ce qu’ils veulent, ils doivent élaborer progressivement une « Société nouvelle ; » et pour cela, à force d’énergie méthodique, créer le capital comme ont fait les parvenus d’autrefois. Si vraiment l’idée d’association n’est pas un vain mot, ils doivent y réussir comme ont fait ceux-ci ; car les armes paraissent égales, non entre eux et les capitalistes d’aujourd’hui, c’est entendu ; mais entre eux et les pauvres hères des temps passés, qui devinrent capitalistes dans une société déjà fortement « capitalisée. »

Puisque le capital est si rare dans les mains prolétariennes, il faudrait d’abord ne pas disséminer ses ressources entre plusieurs Associations concurrentes. Et, j’en demande pardon à l’ombre auguste de Fourier, les travailleurs ne devraient pas recourir au capital étranger, qui est plutôt un péril de mort. Ils devraient, renonçant à le rémunérer trop fortement, et sans tomber dans l’exagération communiste, accroître leur faible avoir par l’accumulation des réserves, imposant ainsi un stage bienfaisant à leur activité inexpérimentée. Il viendrait alors un moment où, songeant à une plus vaste entreprise, ils pourraient la créer « à coups de capitaux, » tout comme les grands industriels et les « fils à papa. »

Le « manque de capital » est donc une de ces raisons de sentiment par lesquelles la classe ouvrière, partout où elle est