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intéressante ; mais c’est tout au plus si sa production est de 80 000 francs.

Les Ouvriers en limes n’ont jamais quitté, depuis 1848, la rue des Gravilliers. Etroite, avec ses maisons hautes qui l’assombrissent, remplie du bruissement des scies, du sifflement des meules et du halètement des forges, la vieille rue révolutionnaire n’a pas changé depuis un siècle. L’Association légendaire est toujours là avec sa grande enseigne ; toujours pareille, — les ouvriers s’y succèdent de père en fils, — ayant gardé son esprit coopératif un peu restreint, son idéal de démocratie modérée, n’ayant pas grandi, n’ayant pas bougé. Dès qu’on a traversé le petit bureau sombre, où gisent, par terre, des paquets de limes, on découvre une forge d’aspect provincial, où quelques ouvriers, demi-nus, tirent le soufflet, forgent, trempent, travaillent de menues tiges d’acier. « On fait tout à la main, me dit le chef d’atelier ; à la main, on ne fait pas de camelote. » Mais aussi on s’interdit les grandes affaires.

La confection des chaussures, la chapellerie, la teinturerie le tissage, ont-ils révélé la grande industrie coopérative ? Pas davantage. Depuis 1848, que de cordonneries coopératives ! Cordonneries communistes, cordonneries « bourgeoises, » cordonneries « chrétiennes, « remarquables surtout par la brièveté de leur existence ; il y en a encore aujourd’hui une vingtaine, dont deux ou trois seulement font d’assez bonnes affaires. La liste des chapelleries n’est qu’un nécrologe. Rue des Blancs-Manteaux, il y a huit ans, les Ouvriers casquettiers se vantaient de fabriquer « depuis le béret du gosse jusqu’au képi administratif : » cet appel laissa également insensibles les pères de famille et les sous-préfets. Les « Teinturiers dégraisseurs communistes » de la Seine n’ont abouti récemment qu’à fonder une maison pour leur directeur !

Les tisseurs, les veloutiers, les rubaniers, les « chemisiers coopérateurs » n’ont vécu que quelques années, ou végètent entre 10 000 et 40 000 francs d’affaires. Je suis allé tout exprès à Roubaix pour voir le Tissage aux tisseurs, dont je connaissais déjà les origines curieuses.


À Roubaix, royaume de l’industrie textile, les salaires ne dépassent pas 4 fr. 50 par jour pour une journée de dix heures ; les femmes gagnent de 3 francs à 3 fr. 50 ; de sorte que la