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sa capacité magistrale ; qu’en de certains endroits, elle a déjà créé des ateliers grandioses ; et que si, partout ailleurs, elle est paralysée dans son essor, c’est en raison de l’insuffisance du capital. Ce sont là des affirmations qu’il faut vérifier.


Certes, nous connaissons, sous le nom d’Associations ouvrières, deux maisons très anciennes, dont la prospérité est éclatante : le Familistère de Guise et les Lunettiers de Paris ; elles font annuellement neuf et cinq millions d’affaires. Mais le Familistère, où l’on fabrique des appareils de cuisine et de chauffage, n’est que la création personnelle d’un grand patron philanthrope, Jean-Baptiste Godin, qui a pris des mesures merveilleuses pour en assurer la perpétuité. Pénétré d’une sympathie profonde pour la classe ouvrière, mais en même temps d’une défiance raisonnée pour sa capacité directrice, il lui a légué une fortune, en la pourvoyant d’une tutelle. Il a rendu obligatoires l’ordre et la stabilité de la gérance ; il a condamné les travailleurs à la possession collective de la propriété, il les a conduits par la main au but que les Associations libres ont vainement poursuivi ; il a conçu et il leur a imposé le gouvernement qui leur convenait. Loin de mettre en lumière la puissance de la coopération intégrale, le succès du Familistère, supérieur à toutes les créations de l’initiative ouvrière, est plutôt une contre-épreuve significative, dont pourraient se prévaloir les adversaires de la coopération.

Quant à la Société des Lunettiers, fondée en 1849, par 13 ouvriers, et d’abord installée dans une pauvre boutique de la rue Saint-Martin, elle n’est plus aujourd’hui qu’un patronat collectif de 70 membres qui emploie 1 400 ouvriers, et où se trouve réalisé l’idéal élargi de la participation aux bénéfices, mais non celui de la coopération productive. Du reste, la devanture de son magasin de la rue Pastourelle porte ces simples mots : « Lunetterie et Optique. »

La « grande industrie » coopérative doit donc être recherchée ailleurs, et dans les entreprises que le prolétariat seul a constamment dirigées.


Bien des fois déjà, des travailleurs ont voulu exploiter le sous-sol minier, les carrières d’ardoise, l’industrie du verre. Dès le premier coup de pic, dès la première bouteille soufflée,