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même « fait des ambassades » à Vienne et à Berlin. Le directeur est toujours M. Buisson, chevalier de la Légion d’honneur, personnage considérable en coopération : le succès ne l’a point gonflé ; il parle de ses origines sans embarras, et de son œuvre sans exubérance.

Mais le Travail est-il demeuré, au sens vrai du mot, une Association coopérative ? On aimerait à l’affirmer sans hésitation. Ses origines sont humbles ; la ténacité de ses fondateurs fut admirable. Les « auxiliaires » participent aux bénéfices ; l’intérêt servi au capital ne peut jamais excéder 7 p. 100. Ce sont bien là des caractères de la coopération véritable. Seulement l’Association comprend aujourd’hui 80 sociétaires ouvriers, 200 actionnaires étrangers à la profession, et 450 auxiliaires. C’est beaucoup dire en peu de mots. Sans doute, l’imprévoyance connue des peintres ne permet pas d’admettre au sociétariat les premiers venus, et ainsi peut s’expliquer l’énorme proportion des auxiliaires. Mais, quoiqu’elle soit d’une parfaite orthodoxie fouriériste, la présence des « capitalistes » paraît moins justifiée, et elle s’aggrave de la pluralité des voix dont chacun d’eux dispose. Enfin, l’œuvre s’incarne dans un homme ; et elle peut entrer dans une phase inquiétante, lorsque l’homme aura disparu.

L’existence des Charpentiers de Paris, qui est plus simple, provoque les mêmes réflexions. L’Association emploie 500 ouvriers, presque tous épars sur des chantiers divers ; je n’en ai trouvé au siège social, rue Labrouste, qu’une cinquantaine. Mais le bruissement des fraises qui mordent dans des arbres tout entiers, le mouvement lent et rythmé des scieurs de long, piétés sur de longues poutres, le cri périodique des perceuses et des cisailleuses, la trépidation du moteur central, le ronflement des forges volantes, montrent de quelle importance est la seule préparation des travaux. L’aspect des bureaux, où chiffrent les comptables, où les dessinateurs exécutent des épures, est aussi tout à fait suggestif. Le cabinet du directeur l’est davantage. J’ai vu des cabinets de ministres : celui de M. Favaron est plus beau, et sa personne ne le dépare point. Un peu chauve, l’air jeune encore, d’une mise soignée, officier de la Légion d’honneur, on le dirait de grande lignée bourgeoise. C’est pourtant un ancien « compagnon du Devoir, » un « bon Drille, » un « enfant du Père Soubise ; » et c’est de degrés en degrés, rapidement franchis, qu’il est devenu le chef d’une