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de l’État le plus clair de leur revenu ; elles ne subsistent, en réalité, que d’une façon factice ; et, dans la prospérité de toutes, il est une part plus ou moins grande qui n’est pas due à la seule puissance du travail associé. Cette remarque est d’autant moins négligeable que, par leur nombre et le chiffre de leurs affaires, les « Associations de travail » représentent la plus forte partie de l’activité coopérative[1]. C’est aussi parmi elles que se trouvent les deux grandes Sociétés, si souvent citées comme des modèles : les Charpentiers de Paris, et les peintres de la rue de Maistre.


L’histoire de l’Association des peintres, le Travail, est une véritable épopée ouvrière.

Les peintres n’ont pas, dans les annales coopératives, une très grande réputation de prévoyance. Leurs Associations ont pullulé dans ces trente dernières années ; la liste serait longue des Progrès, des Fraternelles, des Fourmis, des Abeilles, des Floridors, des Solidarités, et même des « Travailleurs chrétiens » qu’on a vus végéter et périr. Cependant, en regard de cette triste série de revers, l’énergie d’un homme a produit une exception brillante.

En 1882, un jeune fouriériste, M. Henry Buisson, avec quelques camarades, louait, pour 60 francs, un hangar minuscule, à la fois atelier et « siège social, » sur l’avenue de Saint-Ouen, « au fond d’un jardin, en contre-bas. » Les associés étaient aussi pauvres d’expérience que de numéraire. « Aucun de nous, a dit plus tard M. Buisson, n’aurait seulement pu indiquer le prix d’un mètre de peinture ! » L’épreuve fut effroyablement dure. Parfois, appauvris par le paiement d’une grosse dette, n’ayant pas reçu les avances espérées, nos peintres rentraient au logis le cœur gros, appréhendant des récriminations désolées. « Nous avons souffert, a dit encore M. Buisson, tout ce que des hommes peuvent souffrir et supporter. »

Ces temps héroïques sont passés. Aujourd’hui, le Travail possède un capital de 600 000 francs ; il a fait l’an dernier un million de francs d’affaires ; il a participé à la décoration de presque tous les ministères, de cinq lycées de Paris, de l’Odéon, de la gare de Lyon, du palais de l’Elysée ; ses ouvriers ont

  1. Sur les 510 Associations, 151 sont de travaux publics, 71 d’imprimerie, 52 de transports, 34 de lits militaires ; 27 comprennent des carriers, des afficheurs, des coiffeurs, etc. ; soit 335 au total, qui ont fait l’an dernier près de 40 millions d’affaires sur un chiffre global de 65 millions.