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son salaire à chaque ouvrier, le patronat le frustre d’un supplément énorme ; et dès que ce même ouvrier s’agrège à une Association, au prix de sacrifices dont lui et les siens ont âcrement souffert, et sous des risques qu’il n’a pas envisagés sans trouble, voici qu’on lui demande d’abandonner à l’entreprise, intégralement et sans retour, ce même supplément de gain, redevenu libre par la disparition du patron ! Sans doute, aux yeux du coopérateur socialiste, aucune comparaison n’est possible entre les deux retenues. La première, imposée par une « loi d’airain, » contribue à enrichir un homme ; la seconde, librement consentie, doit accroître dans l’avenir la puissance de la corporation et le bien-être de tous ses membres. Mais, pour être touché de ces considérations, il faut être fermement convaincu du succès final, et doué d’un rare désintéressement. Il y faut même souvent un mérite de plus ; car, dans la plupart de ces Associations, règne le principe radical de l’égalité des salaires. Pourquoi, disent les communistes, le malheureux, dont l’habileté est moindre, ou dont les forces ont décliné, mais dont les besoins sont restés les mêmes, serait-il réduit à des ressources plus restreintes ? Le patron ne voit dans ses ouvriers que des instrumens plus ou moins perfectionnés de sa fortune ; et le chiffre de leurs salaires est calculé en proportion de leur rendement utile. Mais pour des travailleurs associés, chacun des leurs est un homme ; sous prétexte de déchéance professionnelle, ils n’ont pas le droit de le rejeter dans un « enfer social, » de lui imposer le taudis misérable, d’où il s’évadera pour le cabaret, et où s’entasseront ses enfans, précocement débiles. En entretenant cet état de choses, le patron est logique ; mais des coopérateurs ouvriers trahissent cyniquement leur classe[1].

C’est ainsi que les Associations communistes égarent leurs rêves dans l’azur d’un empyrée fraternel, et veulent, avant d’avoir assuré leur vie, établir le règne entier de la justice. De la formule fouriériste, elles ont tout répudié : capital, travail, et talent. Mais à leurs exigences excessives, la mentalité ouvrière a répondu ; elle s’est trouvée inférieure au sacrifice démesuré qu’on attendait d’elle. Au lieu de ces efforts gradués que les éducateurs sociaux doivent demander à leurs adeptes, ces Associations ont prétendu imposer aux leurs, dès l’origine,

  1. Les Associations « sillonistes, » récemment fondées à Nancy, Lille, Lieusaint, Fougères, s’inspirent des mêmes principes.