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ont apporté des mises de fonds variables. Les bénéfices sont répartis aux actionnaires, en raison de leurs apports ; aux Assemblées générales, chacun dispose d’autant de voix qu’il possède d’actions. Seul, le capital délibère et commande ; seul il s’enrichit des profits de l’entreprise ; le souci des fondateurs est de lui conserver indéfiniment toute sa valeur productive, et de s’en attribuer exclusivement les avantages ; sous leurs ordres, directeurs, ingénieurs, employés, ouvriers, restent des salariés purs et simples. Isolé de la prospérité ou de la décadence des affaires, le salaire ouvrier ne subit que de lentes variations, dues à l’expédient presque révolutionnaire des grèves, ou au bon vouloir de patrons philanthropes. Il serait d’ailleurs injuste de prétendre que le capital ne travaille jamais. Les fondateurs ne sont pas tous de simples bailleurs de fonds ; il y a parmi eux des gens de métier, pour qui le capital n’est qu’un très puissant auxiliaire du travail. Mais, tandis qu’un petit nombre de membres suivent avec passion et conduisent avec énergie les affaires, d’autres peuvent ne connaître, de la Société dont ils font partie, que le sourire déférent épanoui sur les lèvres du caissier.

La Société industrielle, dite « capitaliste, » offre donc ces caractères fondamentaux : une fois qu’elle est constituée, un travailleur de la profession n’a aucun droit, aucun moyen régulier d’en faire partie ; et il s’y introduit fatalement, au cours de son existence, des gens étrangers à la nature de ses affaires. Le personnel qui la compose se répartit en deux groupes. L’un, celui des actionnaires, reçoit la totalité des bénéfices. L’autre, celui des agens salariés, n’a aucun droit de s’immiscer dans les affaires sociales, et n’est qu’une sorte d’instrument adapté au service du premier.


Mais tous ces caractères de la Société industrielle peuvent convenir tout aussi bien à une Association d’ouvriers. Voici quelques serruriers qui se sont connus dans un syndicat ou dans un atelier. Ils réunissent quelques milliers de francs, et s’associent pour exploiter une petite boutique. Les affaires vont tellement bien qu’ils n’y peuvent plus suffire par eux-mêmes. Ils s’adjoignent des dessinateurs, ils embauchent d’anciens camarades. Plusieurs d’entre eux ne travaillent déjà plus manuellement : l’un est directeur, l’autre agent commercial : celui-ci, surveillant de chantier ; cet autre même a quitté la profession.