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ne s’attachent aux troupes régulières que pour avoir l’occasion de se repaître de chair humaine. « Actuellement, écrivait-on en novembre 1909 au Nouvelliste de Bordeaux, le capitaine Prokos opère dans l’Oubanghi, avec une dizaine d’officiers et sous-officiers blancs commandant 200 tirailleurs et 400 auxiliaires indigènes. Ces derniers ne sont que d’affreux pirates bondjos auxquels on confie des fusils qu’ils oublient de rendre et qui, n’ayant pas de vivres en quantité suffisante, mangent chaque jour les cadavres des indigènes qui sont traqués comme des bêtes féroces. Le jour, les officiers essaient bien de s’opposer à ces horribles festins ; mais, la nuit, ils ont ordre de ne voir dans les marmites que de la viande de cabri ! » Dans les rapports, ces tueries sont qualifiées d’opérations de police. Il faut reconnaître aussi que les répressions se font souvent « au petit bonheur » et ne tombent pas toujours sur les coupables. Ainsi, en 1909 dans le bassin de llbenga, on a vengé d’une façon terrible la mort de 4 blancs qui avaient été mangés en 1904. Cette répression aurait dû s’exercer au lendemain du crime : cinq ans après, les noirs n’y comprenaient rien, d’autant plus que les auteurs avaient, depuis longtemps, pris la fuite.

En pays civilisé, le contribuable se soumet à l’impôt parce qu’il sait que le produit doit en être employé pour le bien général. Il faudrait de même arriver à faire comprendre aux noirs cette nécessité en s’efforçant d’améliorer leur sort. « Or les 4 à 5 millions (actuellement 8 millions) du budget du Congo sont absorbés uniquement par les fonctionnaires. Il n’y a rien, absolument rien de prévu pour les colons et pour les indigènes ; pas de chemins, pas de balises sur les fleuves, pas d’écoles, pas d’hôpitaux, sauf celui tout récent de Brazzaville. Est-ce juste, demanderons-nous avec Mgr Augouard, et le malheureux noir dépossédé n’a-t-il pas le droit de réclamer sa part dans ce gros budget[1] ?)) En ce moment, de magnifiques projets sont inscrits sur le papier pour l’amélioration de la colonie. Une loi du 12 juillet 1909 a autorisé le gouverneur général de l’Afrique équatoriale française à contracter un emprunt de 21 millions. Mais comment les 21 millions seront-ils employés ? Le passé rend un peu sceptique à cet égard. Trop souvent, comme l’a déclaré M. Gentil lui-même, en matière de réformes aux colonies, l’administration

  1. Revue Congolaise, de Bruxelles, no 2 (1910), article de Mgr Augouard sur la situation politique et religieuse du Congo français.