Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À partir de Banghi, embarqué dans une mauvaise pirogue où, assis sur une petite caisse, il avait « les pieds dans l’eau et la tête sous un soleil de feu, » Mgr Augouard recommença la route dangereuse, à travers les rapides, jusqu’à la Sainte-Famille. Vainement aurait-il voulu ménager la surprise de son arrivée à ses religieux, ceux-ci étaient prévenus par les tamtams et les trompes d’ivoire « qui, chez les noirs, tiennent lieu de télégraphes et de téléphones et qui les mettent au courant de la chronique de la rivière. »


La mission ressemblait alors à un camp militaire, car il y avait là cent cinquante tirailleurs avec leurs officiers et sous-officiers, qui allaient se diriger vers le Chari et le Tchad. C’est le renfort pour Marchand que j’avais monté d’urgence huit mois auparavant… Comme nous avons fraternisé avec ces braves ! Les cœurs se sentaient à l’aise ; les uns et les autres se considéraient comme des frères. S’il en était ainsi entre tous les Français, dans la même patrie ! disions-nous.


La maison de la Sainte-Famille avait eu des débuts difficiles : le premier emplacement choisi était malsain et les trois missionnaires qui l’occupaient tombèrent malades ainsi que plusieurs de leurs élèves. Le P. Moreau ne se laissa pas décourager : ayant transporté la mission à 50 kilomètres plus loin (en amont d’Ouadda), il construisit rapidement des cases provisoires, puis il installa une basse-cour, acheta moutons, bœufs, vaches, chevaux, ânes et autres animaux jusqu’alors inconnus dans ces régions et, ayant fait venir de France une charrue légère à laquelle succédèrent plus tard des charrues « Brabant, » il arriva ainsi, au bout de quelques années, à subvenir aux besoins de 4 à 500 personnes. Dès sa seconde visite, Mgr Augouard fut émerveillé de tout ce qui avait été fait en si peu de temps : belles maisons d’habitation, champs bien cultivés, fermes abritant des troupeaux qui donnent du lait, du fromage et du beurre en abondance ; l’évêque se croyait transporté dans une bourgade normande[1]. Ce qui réjouissait encore plus son cœur de missionnaire, c’est que les progrès de l’évangélisation avaient

  1. Malheureusement la plupart de ces animaux, ayant été piqués par les tsés-tsés, succombèrent à la maladie. Le climat du Congo n’est pas favorable à la reproduction des grands bestiaux. Les chevaux et les ânes ne vivent qu’à la condition de ne pas travailler ! En revanche, les porcs, introduits par les Missionnaires du Saint-Esprit dans le Haut-Oubanghi, y réussissent bien, mais dans les pays équatoriaux, cette viande paraît plutôt malsaine.