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Chaque fois qu’ils soupçonnaient un décès au poste, ils cherchaient à déterrer le cadavre pour le manger et, malgré toutes les précautions, ils y réussissaient parfois, n’hésitant pas à dévorer des corps dans un état de putréfaction avancée. On comprend que, pour transformer de pareilles brutes en êtres consciens du bien et du mal, la tâche soit rude. On y parvient cependant à force de patience et de courage, et « le plus spirituel des évêques africains, » comme l’appelle un auteur peu clérical, nous racontait que les cannibales baptisés se montrent très offusqués quand on se permet de faire allusion à leurs anciennes coutumes : Ça pas bon genre, ça pas grand monde (sic), disent-ils d’un air gêné.

C’est surtout en s’adressant à la jeune génération que les missionnaires réussissent à transformer ces natures farouches. Aussi vont-ils, au péril de leur vie, arracher des enfans à la marmite des indigènes. En général, la rançon s’obtient moyennant quelques brassées de perles, des étoffes, du sel, de vieux couteaux, de petits miroirs et aussi des fourchettes. Mgr Augouard s’étonnait de voir cet ustensile si recherché dans une tribu, quand il apprit que les négresses s’en servaient comme de démêloirs ! Ailleurs la barrette de laiton appelée mitako et valant environ 12 centimes, sert d’unité monétaire, système peu pratique, car 100 francs de cette monnaie pèsent au moins 50 kilos. Chaque achat nécessite d’interminables palabres. Parfois cependant, le marché se conclut promptement. Un jour le P. Allaire obtint un enfant de quatre ans en échange d’une bouteille vide : il est vrai que l’enfant, malade et d’une maigreur effrayante, ne valait rien au point de vue alimentaire ! Ce qui coûte cher, ce n’est pas le rachat des enfans, mais bien leur nourriture et leur éducation jusqu’au jour où ils sont en âge de se suffire à eux-mêmes. On tâche alors de les marier avec quelque jeune chrétienne élevée chez les sœurs. À Liranga, le P. Allaire avait réussi à établir 18 ménages chrétiens.

Dès sa première visite aux Bondjos, Mgr Augouard eut la joie de pouvoir ramener à Brazzaville plusieurs enfans. Ceux-ci se montrèrent d’abord fort inquiets en se voyant emmenés par des blancs à grande barbe dont les intentions leur paraissaient suspectes : à peine osaient-ils toucher à la nourriture abondante qu’on leur offrait ; mais peu à peu ils prirent confiance et, après avoir accepté des pagnes avec joie, ils accablèrent leurs