employé les mois d’absence de son supérieur à parcourir, à bord du Léon XIII, les rivières les plus reculées de la région, en quête d’enfans à soustraire à la mort ou à l’esclavage. Embarqué avec une large provision d’objets d’échange, il s’arrêtait de distance en distance le long de la côte : « Précédé de guides dans lesquels la prudence lui défendait de mettre toute sa confiance, raconte son confrère le P. Rémy[1], il partait à travers des marais pestilentiels, par des forêts et des chemins sans nom, de véritables guets-apens où il aurait pu être massacré sans que personne le sût jamais ; » il visitait les villages et cherchait à entrer en rapport avec les habitans. Reçu d’abord avec méfiance ou hostilité, il faisait connaître ses intentions qui, au premier abord, paraissaient suspectes : « N’as-tu donc pas d’enfans chez toi, que tu en viennes chercher si loin ? » lui demandait-on. Maintes fois le P. Allaire faillit être victime de son zèle : un jour, chez les Bondjos, il dut son salut à la présence d’esprit et au courage qu’il déploya en braquant son fusil (non chargé !) sur les cannibales qui le menaçaient de leurs lances. Précipité du haut d’une berge, il réussit à fuir, au milieu des sagaies pleuvant de toutes parts, et à gagner à la nage son bateau resté au large. Cependant, dans bien des localités, on avait fini par le connaître : ses cadeaux étaient appréciés, et l’on s’empressait de lui amener les enfans, généralement les plus malades ou les plus chétifs, dont on voulait se débarrasser ; aussi était-il accueilli avec joie, et à son salut : « Dieu te bénisse ! » répondait-on par d’aimables souhaits : Enivre-toi tous les jours ! Tue tous tes ennemis ! N’aie jamais la gale ! Puisses-tu avoir beaucoup de femmes ! Vole sans qu’on te voie ! » Devant de pareilles avances, comment aurait-il pu refuser au chef V « échange du sang ? »
L’opération consiste à se faire faire, de part et d’autre, une légère incision au bras droit, tout en mâchant de la noix de kola ; après quoi, les deux personnes qui veulent se jurer une amitié éternelle frottent énergiquement leur blessure l’une contre l’autre en se promettant de ne jamais se faire la guerre ; puis chacun crache la noix de kola sur la blessure de l’autre et, du coup, l’on est devenu frères de sang.
Mgr Augouard voulut à son tour faire la connaissance de ses farouches diocésains et, en janvier 1893, il s’embarquait avec
- ↑ Le Catholicisme et la Vapeur au centre de l’Afrique, Poitiers, 1901.