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le P. Augouard, habile chasseur, tua neuf hippopotames, à la grande joie de l’équipage. Chacun de ces pachydermes pesant de 1 000 à 1 500 kilos, on se rend compte du formidable pot-au-feu que représentait toute cette viande d’où se dégageait une odeur nauséabonde. Les nègres étaient dans la joie et, durant plusieurs jours, il fut impossible de faire travailler les rameurs occupés à digérer : « Le comble du bonheur, avouaient-ils cyniquement, est de manger au point que la peau du ventre casse ! »

Mgr Carrie, qui avait d’abord apprécié cette nourriture, commençait à s’en dégoûter quand son grand vicaire trouva moyen de varier les menus en y joignant des oies, des canards, des pintades… mais surtout des singes dont la chair, dit-on, n’est pas à dédaigner : « il y en a par milliers, écrivait le missionnaire et parfois, la nuit, ils font un tel vacarme, qu’on se croirait à la Chambre des députés. » Le P. Augouard se livra alors aussi, pour la première fois, à la chasse émouvante de l’éléphant.

En s’arrêtant à Kwamouth, au retour, les Pères apprirent que cette station avait été définitivement attribuée à l’État indépendant par la Conférence de Berlin qui venait de régler les intérêts des nations européennes installées dans le bassin du Congo. Ce règlement dans lequel notre éminent représentant, le baron de Courcel, avait eu soin de faire insérer une clause assurant la protection du gouvernement aux missionnaires et la liberté de conscience à leurs néophytes, permit de fixer, d’une façon précise, la limite des différens vicariats (diocèses) qui furent, dès lors, desservis, dans chaque colonie par des missionnaires appartenant à la métropole. Telle est, en effet, la règle très sage posée par le Vatican, car, dans ces pays où les rivalités politiques amènent souvent des conflits, il est nécessaire que les autorités religieuses soient, le plu ? possible, en accord constant avec les autorités civiles. Dès lors, les Pères du Saint-Esprit durent abandonner la mission de Kwamouth pour se transporter à Brazzaville où ils obtinrent un terrain de 200 hectares pour y fonder un établissement agricole. Ce soin fut confié au P. Augouard qui, aidé du P. Rémy et du Fr. Savinien, se mit à creuser un énorme four à briques et entreprit la construction d’une maison et d’une église, en même temps qu’il chassait l’hippopotame pour procurer de la viande à son personnel. Mais souvent l’on en était réduit à manger du serpent !