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toute la Cour, jusqu’au sortir du village, le Roi marchant en sautillant sur la pointe des pieds, car sa dignité exige que ses talons ne posent jamais à terre !

Au bout de deux mois, les religieux parvenus à la station de l’Equateur, à 1 250 kilomètres de la côte, s’entendirent avec un chef barombé pour l’achat d’un terrain sur lequel ils élevèrent une croix qui devait marquer l’emplacement de la future mission. Ils obtinrent en outre, de l’État indépendant, la cession du poste de Kwamouth, au confluent du Kasaï et du Congo, pour y fonder la mission de Saint-Paul du Kasaï. Le P. Augouard rejoignit son supérieur le 21 novembre 1885, après avoir fait plus de 2 000 kilomètres à pied sous une chaleur écrasante et au milieu de difficultés et de dangers constans. Un jour que, suivant son habitude, il traversait une rivière à la nage, il faillit être happé par un crocodile qui le guettait au passage ; une autre fois, il affronta, dans un village, une fusillade qui blessa plusieurs de ses porteurs, tandis que lui-même recevait un coup de massue sur la mâchoire : il fallut s’arrêter pour soigner les blessés et palabrer avec les sauvages qui s’excusèrent de leur mieux en apportant une chèvre, des bananes, une poule et du manioc, pour faire oublier leur « vivacité, » et en fournissant six porteurs pour remplacer les blessés. Le religieux, au cours de ses expéditions, s’est trouvé plusieurs fois exposé à des fusillades semblables. Par bonheur, « les noirs ont de très mauvais fusils à pierre, de la poudre contenant 70 à 80 pour 100 de charbon et comme, pour faire feu, ils appuient leur fusil contre la cuisse, leur tir n’est pas précisément juste. »

Depuis quelque temps déjà, le P. Augouard était pénétré de la nécessité de substituer aux frêles pirogues dont les missionnaires se servaient une baleinière en acier, capable d’affronter tornades, crocodiles et hippopotames. Ce ne fut pas chose facile d’obtenir l’embarcation de 11 mètres de long sur 2m, 10 de large, telle qu’il la rêvait, c’est-à-dire sectionnée en plaques de 30 kilos, de façon à pouvoir être transportée à travers la région des Cataractes. De guerre lasse, voyant qu’il ne pouvait faire accepter son idée par aucun constructeur français, il dut s’adresser en Angleterre : au bout de quelques mois, la commande fut livrée, et 90 noirs la transportèrent sur leur tête jusqu’à Brazzaville. « Quelle drôle d’idée, disaient-ils, ont ces blancs d’amener du fer de si loin ! » et on devait les surveiller