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comme c’est bon, » déclaraient-ils en faisant claquer leur langue. Leurs goûts dépravés se manifestaient d’ailleurs par le plaisir avec lequel ils dévoraient des serpens, des chauves-souris, des rats et des chenilles grillées. Mais ils crachaient de dégoût en voyant les blancs manger des œufs et boire du lait.

Cependant les religieux s’étaient mis en devoir de défricher le sol. Tandis que le P. Krafft ramenait la caravane à la côte, le P. Augouard, aidé du frère Savinien, « rude gaillard, ancien margis-chef aux dragons, » construisait, à l’aide de briques séchées au soleil, une maison moins primitive que la première où les herbes jetées sur la toiture ne pouvaient protéger contre les formidables abats d’eau fréquens dans ces régions. L’année se termina sans que Brazza eût paru. En février 1884, M. Dolisie se décida à partir à sa recherche. Il finit par le retrouver dans l’Ogoué : l’explorateur avait complètement oublié le rendez-vous promis !

En 1884, le P. Augouard revint à Landana. Son supérieur, le voyant épuisé par un voyage de 700 kilomètres fait à pied, après tant de fatigues précédemment endurées, le renvoya en France. Ayant abordé à Lisbonne, le missionnaire, encore jeune et timide, fut, presque malgré lui, présenté à notre ministre M. de Laboulaye. Celui-ci, qui prenait à cœur la question du Congo naissant, fut heureux de pouvoir en parler avec un homme compétent. Il lui recommanda d’aller voir Jules Ferry, alors président du Conseil, et comme le P. Augouard protestait, disant qu’il n’oserait pas, l’éminent diplomate, voulant le corriger de sa timidité, lui indiqua la façon dont il devait se présenter au quai d’Orsay et le ton ferme et décidé avec lequel il devait parler : « Comment ! lui disait-il, on mène un bruit énorme autour du voyage du moindre explorateur, et les missionnaires qui servent si efficacement la cause française resteraient inconnus ! Ce n’est point pour une vaine gloire, car vous la méprisez, mais dans l’intérêt même de vos œuvres qu’il faut changer d’attitude. Ne craignez pas de faire parler de vous. » Le P. Augouard se souvint de la leçon. Arrivé à Paris, il obtint une audience de Jules Ferry qui s’intéressa aux récits du missionnaire, lui demanda de nombreux renseignemens et se plut à reconnaître l’œuvre patriotique accomplie par les Pères du Saint-Esprit. À cette date, l’anticléricalisme n’était pas encore devenu un article d’exportation, et