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solennellement un papier prouvant qu’il s’était engagé envers Stanley à ne laisser passer « aucun intrus ; » en réalité, il ne songeait qu’à profiter de la situation pour vendre chèrement le droit de passage. Plus loin, tous les porteurs prirent la fuite, et la nuit fut employée à courir à leur recherche. Ils renouvelèrent, d’ailleurs, plus d’une fois cet exploit, quitte à revenir le lendemain fort penauds. D’autres fois, c’étaient les guides, qui s’enfuyaient, abandonnant la caravane au milieu de montagnes désertes, « de sorte qu’il fallait se diriger sur la boussole comme un marin au milieu de l’Océan. »

Le 4 août enfin, trente jours après son départ de Vivi, le P. Augouard parvenait sur les bords du Djoué (qui se jette dans le Congo un peu au-dessus du Pool) et il y trouvait Stanley arrivé par une autre voie avec son escorte de 80 Zanzibarites armés de fusils à tir rapide. L’explorateur, tout en faisant bon accueil au missionnaire français, ne lui cacha pas le dépit qu’il avait éprouvé le jour où, atteignant la rive Nord du Pool, il avait aperçu, flottant au vent un morceau d’étoffe bleu, blanc et rouge, sous la garde d’un sergent sénégalais « d’allure très crâne » et de deux matelots nègres du Gabon. L’initiative du « va-nu-pieds Brazza » avait seule empêché l’envoyé de Léopold de faire entrer tout le bassin du Congo dans le domaine du futur « État indépendant. » Le sergent Malamine, fidèle à son poste, témoignait naïvement au P. Augouard sa joie de revoir enfin un de ses semblables, car, disait-il, « j’étais le seul blanc dans le pays ! » Le brave Sénégalais oubliait qu’il était lui-même un nègre du plus beau noir. Le religieux lui abandonna généreusement la plus grande partie de ses marchandises. Puis il alla rendre compte de son voyage au P. Carrie (septembre 1881), et lui demanda à retourner au Pool pour y créer l’établissement projeté ; mais les ressources faisaient défaut et il dut rester pendant deux ans dans la région du Bas-Congo, se partageant entre les missions de Boma et de Saint-Antoine, situées à 160 kilomètres l’une de l’autre. Une de ses lettres, écrite durant cette période, nous le montre levé dès quatre heures du matin et, après sa messe dite, ses devoirs religieux accomplis, exerçant tour à tour dans la même journée les métiers de cultivateur, de charpentier, de forgeron, de maçon, de menuisier et enfin de tailleur, sans compter les catéchismes à faire et la correspondance à régler. Les Congolais, de même que la plupart des noirs, considèrent