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de conscience professionnelle d’une partie des magistrats. On ne doit pas oublier non plus qu’à la même époque, le jury rendit souvent dans des affaires politiques des verdicts tout aussi regrettables que beaucoup d’arrêts prévôtaux.

À mesure que les esprits se dégagèrent des passions de 1815, on se rendit mieux compte de l’impopularité que faisait peser sur le gouvernement royal l’existence de tribunaux d’exception. Aussi en 1818 leur disparition fut saluée avec satisfaction même par des royalistes qui les avaient établis[1]. Par une conséquence heureuse, quoique imprévue, la suppression des Cours prévôtales entraîna aussi celle des Cours spéciales du Code de 1808, qui ne furent jamais réorganisées.

Ainsi se termina une entreprise fâcheuse, qui avait compromis le nouveau régime sans lui donner, à ce qu’il semble, une sécurité plus grande. Jusqu’en avril ou mai 1816, ainsi que nous l’avons vu, les causes prévôtales avaient été jugées dans la plupart des départemens par les tribunaux de droit commun : comment croire qu’une justice spéciale fût indispensable ? N’eût-il pas été préférable de laisser intactes les prérogatives du jury et n’aurait-on pas évité par là beaucoup de suspicions ? L’histoire de cette éphémère juridiction nous présente donc un exemple de l’inutilité et du danger des tribunaux d’exception. Puisse cette expérience ne pas être oubliée, le cas échéant, par les hommes d’État réalistes qui seraient tentés de ne pas prêter une suffisante attention aux scrupules des jurisconsultes !


André Paillet.
  1. Mémoires du baron Hyde de Neuville, t. II, p. 339.