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spéciaux se trouvaient appelés à connaître d’affaires qui eussent été normalement pour une partie de la compétence du jury et pour une autre de celle des juges correctionnels. Les tribunaux correctionnels ne retenaient que le jugement des actes séditieux moins graves prévus par les articles subséquens de la loi du 9 novembre 1815.

On remarquera que les « complots » proprement dits étaient hors de la compétence des Cours prévôtales et l’exposé des motifs de la loi avait particulièrement insisté sur ce point, déclarant qu’on s’était attaché à ne déférer aux nouvelles Cours que les crimes et attentats présentant un caractère matériel de violence publique, à l’exclusion des crimes secrets, des complots, de tout ce qui n’étant pas en quelque sorte flagrant avait besoin d’être examiné avec la maturité des formes ordinaires[1].

Cette distinction est importante à retenir pour apprécier certaines décisions prévôtales.

On constate donc que la loi du 20 décembre 1815 étendait dans des proportions considérables le domaine de la justice spéciale et qu’elle y faisait entrer, — ce qui était le but qu’on avait eu principalement en vue, — une grande partie des infractions politiques.

L’organisation et la procédure de cette justice spéciale avaient également subi de graves modifications, dont plusieurs aboutissaient à diminuer très inconsidérément le prestige des juges et les garanties des accusés.

Avant de relater ces dispositions regrettables, il serait injuste de ne pas dire que sur certains points la Chambre de 1815 fit preuve de scrupules honorables.

C’est ainsi que, malgré la proposition primitive du projet gouvernemental et l’insistance de plusieurs députés de l’extrême droite, elle se refusa à donner à la loi un caractère rétroactif et n’admit la compétence des Cours, pour les crimes antérieurs à sa promulgation, qu’à l’égard des infractions déjà déférées à la justice spéciale par le Code de 1808 et sous réserve de l’observation des formes de procédure prévues par ce Code[2]. Le législateur

  1. Le projet primitif accordait compétence aux Cours prévôtales pour les complots. Cette disposition extrêmement dangereuse ne fut écartée que grâce à l’insistance de M. Cuvier, qui réussit à convertir M. de Richelieu à son avis. M. Cuvier a tenu à consigner ce fait dans une note, reproduite par la Biographie générale Firmin-Didot, article « Cuvier, » p. 689-690.
  2. La rétroactivité, proposée dans le texte du projet rédigé par le gouvernement, fut écartée par la Commission de la Chambre, grâce aux efforts de M. de Serre, auquel se joignit M. Cuvier, commissaire du Roi. Voyez note précitée de M. Cuvier, Biographie générale Firmin-Didot, article « Cuvier, » p. 689-690.