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empruntées à l’Imitation de Jésus-Christ. Elles reflétaient une désespérance dont l’affirmation est en désaccord absolu avec les tendances du christianisme et particulièrement du catholicisme. « Tout ce que le monde m’offre ici-bas pour me consoler me pèse… C’est donc une véritable misère que de vivre sur la terre. »

Ce regret de n’avoir pas trouvé, dans sa culture religieuse, un point d’appui qui le secourût aux heures d’inquiétude philosophique, de dessèchement psychologique, circule, à travers l’œuvre entière de Charles Guérin, comme un accompagnement en fa au-dessous du chant de la clef de sol :


Bien que mort à la foi qui m’assurait de Dieu,
Je regrette toujours la volupté de croire,
Et ce dissentiment éclate en plus d’un lieu
        Dans mon livre contradictoire.


En dehors des heures où cette sommation de croire, qui monte de ses origines et de son éducation, lui est un tourment, il arrive souvent à Charles Guérin de s’en servir comme d’un moyen d’art et de se jouer, perversement, ainsi que d’une volupté supérieure, de la notion de péché.

Placé en face de ce souvenir malicieux, un jour, il dira à Jésus :


… J’ai détourné le sens divin des paraboles ;
J’ai, d’un grain vil, semé le champ de tes paroles.
Malheur à moi ! Car dans les vers que j’ai chantés
La prière se mêle au cri des voluptés.
J’ai baisé tes pieds nus comme une chair de femme
Et posé sur ton cœur ouvert un cœur infâme,
L’iniquité fût ma maîtresse…


Longtemps, il s’arrête à mi-chemin entre la croyance et le doute. Il a fait de fortes études philosophiques, il a lu les travaux d’exégèse, les critiques de son temps, il ne peut fermer les yeux sur certains doutes ; mais il envie la foi naïve des cœurs que les raisonnemens scientifiques n’ont pas fait trembler. Ces jours-là, il dit au Dieu incertain qu’il aperçoit dans la pénombre :


… L’homme vraiment pieux qui te confie
Le soin de sa raison et le cours de sa vie,
L’homme dont l’esprit clair n’a jamais reflété
Que l’étoile du ciel où luit ta volonté
Et dont l’âme, fontaine invisible et qui chante,
Laisse jaillir l’amour comme une eau débordante,