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Retté tient, sans doute, comme celle de Huysmans, dans le fait de ses origines. Sa vie est un reflet de ses atavismes flamands. Il faut peut-être l’alliance des sangs espagnol et hollandais pour creuser des abîmes si profonds entre les passions du corps et les élans de l’âme. M. Retté sort du pays où le mysticisme des béguinages alterne avec les orgies des kermesses. Il a senti tout d’abord grandir dans son sang les violences qui se manifestent chez M. Émile Verhaeren. Cependant, dès cette minute, il apparaît marqué d’un caractère qui lui est personnel ; il mêle à son amour de la foule grouillante un goût supérieur de la justice. Ce penchant le porte d’abord à détruire tout ce qui est pour reconstruire, selon le plan de ses rêves, la Cité Future. C’est la période de sa foi anarchiste, de sa passion de propagande par le fait. Il ne s’y arrêtera pas. Son amour des humbles, son dégoût des réalités du monde va lui faire un chemin facile vers le cloître le jour où il croira s’apercevoir que la cité idéale, dont il a rêvé, est l’Église catholique, et que la meilleure méthode pour atteindre cet asile de perfection n’est pas, comme il l’avait cru un instant, la destruction et le massacre, mais bien la charité, la prière et l’amour. Le lendemain du jour où il a fait cette découverte, le poète va s’enfermer dans le monastère de Chetevagne, où les Bénédictins de Ligugé se sont réfugiés depuis leur proscription.


VII

Ces vocations de MM. Louis Le Cardonnel et Adolphe Retté ont, dans leur netteté impérieuse, les caractères d’une quasi-nécessité qui, malgré tout, demeure exceptionnelle. MM. Charles Guérin et Francis Jammes sont, dans leur évolution, plus voisins des âmes de leurs contemporains.

Et vraiment, il est le miroir d’innombrables jeunes gens de tradition latine, d’éducation catholique, de culture sceptique, ce Charles Guérin qui vécut si peu d’années, déchiré entre les ivresses de l’amour et les angoisses de la mort.

Le mal sans pardon dont il était touché et qui devait l’emporter si vite l’avait, dès son adolescence, marqué d’une inaptitude particulière au bonheur que, si avidement, il voulait saisir. Dès 1892, sortant à peine du collège, il avait donné pour épigraphe à ses premiers vers un certain nombre de phrases